Critères environnementaux : les appels d’offres de médicaments à la loupe

Des pratiques hétérogènes et encore peu abouties… Conduite par l’Association nationale des opérateurs d’achats régionaux, l’analyse des critères environnementaux dans les appels d’offres de médicaments mesure la difficulté des acheteurs hospitaliers face à la complexité de la tâche.

© Epictura

Il aura fallu vingt ans pour que la prise en compte des considérations environnementales dans les appels d’offres publics passe de la simple proposition (art 53 du Code des marchés publics 2006) à l’obligation (art. 35 de la loi Climat et résilience modifiant l’art R. 2152-7 du Code de la commande publique, août 2026)…

Vingt années qui auraient pu permettre d’apprivoiser le contexte, mais il n’en est rien : « alors qu’il faudrait maintenant une sémantique robuste et identique à laquelle les laboratoires puissent se référer, les acheteurs hospitaliers de médicaments continuent de produire des documents de structure et maturité très diverses », résume Vincent Hurot, pharmacien au Groupement régional de commandes de Nouvelle Aquitaine.

L’assertion n’a rien d’une intuition. En 2023, l’Association nationale des opérateurs d’achats régionaux (ANOpAR) que ce professionnel préside également a épluché les cahiers des charges de ses adhérents, un panel représentatif : « 12 groupements et CHU, soit quelque 650 établissements représentant la quasi-entièreté des acheteurs de produits de santé nationaux », certifie Vincent Hurot… Et les chiffres sont effectivement là.

Des critères encore à affirmer

Elsa Bodier

Le poids des critères d’abord. Sur les 12 structures d’achat interrogées, un tiers ne fait de ladite considération qu’un élément d’appréciation du dossier. « Certes, identifier un paramètre sur lequel le fournisseur sera en capacité de répondre ET l’acheteur en mesure d’évaluer constitue un premier frein », admet Elsa Bodier, pharmacien au centre hospitalier de Blois et coordinatrice pour le GCS Achats du Centre, associée à l’enquête. « Mais à l’arrivée, ce choix stratégique s’avère peu pédagogique pour les fournisseurs, dès lors faiblement incités à avancer sur ces questions », complète à ses côtés Jean-François Husson, également pharmacien au CH Blésois.

Or, la pondération appliquée par les deux autres tiers des répondants ne constitue pas non plus un signal fort, aucun ne dépassant 10 % et près de la moitié (5 structures) oscillant entre 2 % et 3 %… « Preuve aussi que la volonté politique n’est pas encore au rendez-vous », souligne le professionnel, lequel dépose ainsi une pierre au pied du programme Phare, invité à « se prononcer plus clairement entre performance financière et achat responsable, écologique et souverain. »

Prime à la faisabilité

Vincent Hurot

La sélection même des critères pose également question. Si un quart des répondants ont choisi d’évaluer 6 à 10 critères environnementaux, près de 60 % s’en tiennent effectivement de 1 à 5, au sein desquels se dégage une grande variabilité des choix », pointe Vincent Hurot. Pour 9 des groupements analysés, l’optimisation logistique s’affiche ainsi en tête, notamment centrée sur les émissions de GES du transport, suivie de près par la gestion des déchets et la réduction des emballages.

Mais en deuxième place ex aequo, 2/3 des appels d’offres mentionnent aussi la politique RSE de l’entreprise tandis que l’analyse de cycle de vie ne se place qu’en 5ème position, derrière l’utilisation de matériaux recyclés…« Autant de choix qui sont donc, ici aussi, clairement dictés par la faisabilité plus que par la pertinence », analyse le président d’ANOpAR, lequel alerte sur les effets pervers de la démarche, « un lien parfois très ténu avec l’objet du marché et, là encore, une démarche peu mobilisatrice pour les fournisseurs sur lesquels la commande publique doit faire levier. »

Un état des lieux au T 0

Conclusion : « Les fournisseurs se plaignent souvent de demandes hétérogènes, pas toujours pertinentes, souvent mal valorisées et fréquemment chronophages… Ils ont malheureusement raison », tranche Jean-François Husson qui le rappelle : « une bonne réponse à une mauvaise question est toujours une mauvaise réponse ! »

« Pour encourager les laboratoires sur la bonne voie et permettre aux établissements de concourir efficacement à la transition, il faut donc désormais unifier nos approches en n’oubliant pas de lier la commande et l’exécution du marché, systématiser nos critères de choix et harmoniser nos pratiques autour de scores collectivement partagés », invite Vincent Hurot. Les trois auteurs de l’enquête sont d’ailleurs confiants : « la montée en compétences a lieu maintenant », assurent-ils tous d’une seule voix.

Cette enquête, qui a donné lieu à une communication affichée lors des dernières Journées de l’achat et de la logistique à Montrouge, veut d’ailleurs constituer le temps 0 d’une (r)évolution débutante, charge à une nouvelle édition de l’attester d’ici 18 à 24 mois. En espérant que d’ici là, des écoscores officiels auront aussi vu le jour pour faciliter la tâche (lire nos articles du 14 décembre 2023,  du 18 décembre 2023,  et du 30 janvier 2024… Quitte à réduire le poster d’aujourd’hui à un simple timbre-poste.

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