Indicateurs RSE produits de santé : les industriels ont leurs maux à dire

Unanimement attendu pour appuyer les achats responsables en toute sécurité, l’indicateur d’impacts RSE, ou dispositif de notation des médicaments et dispositifs médicaux, divise toutefois dès qu’il s’agit de le formaliser, le bonheur des uns faisant parfois le tourment des autres. Les industriels s’en expliquent.

© Epictura

« D’ici deux ans, les offres d’achat public intégreront au moins un critère d’analyse prenant en compte les caractéristiques environnementales (loi Climat et résilience du 22 août 2021), d’où l’urgence de l’acheteur et son besoin d’information », admet sans réserve la directrice RSE de SGH Medical Pharma, Virginie Delay. Aux mêmes fonctions pour Les entreprises du médicament (Leem), Julie Langevin, abonde : « l’obligation nouvelle ne saurait être respectée sans possibilité de comparer. Aussi les professionnels doivent-ils disposer d’une clé de décryptage. »

De tous bords, les réflexions s’engagent donc, notamment au niveau ministériel où une cotation de l’empreinte carbone des médicaments est annoncée pour la fin de l’année tandis que plusieurs cabinets (Ecovamed, Primum non nocere…) planchent également (lire notre article du 14 décembre 2023  et notre article du 18 décembre 2023). Mais quelle méthodologie choisir pour une ciselure qui convienne à toutes les portes ? C’est là que la gravure s’enraye.

Deux écoles

Severine Roullet Furnemont ©Labos P.Fabre

Deux écoles ont en effet cours à ce jour, l’approche tout ACV faisant appel à la conversion carbone de montants monétaires ou à des valeurs génériques lorsque les données font défaut, et l’approche cycle de vie relevant de méthodes alternatives (test OCDE, index…). Or, convenir que la première formule ne sied guère aux industriels du secteur reste très en deçà de la réalité. « Par manque de données, l’utilisation des facteurs monétaires peut favoriser l’empreinte carbone d’un médicament provenant de pays dont la fabrication coûte moins cher qu’en France alors que le mixte énergétique y sera plus carboné », commence Séverine Roullet-Furnemont, directrice RSE et développement durable des Laboratoires Pierre Fabre.

De plus, souligne-t-elle, « la notation néglige les transferts d’impact potentiels, par exemple lorsque la diminution de l’empreinte carbone conduit à une dégradation de l’empreinte eau ou biodiversité. » Mais le principe même de l’ACV qui, à partir d’une somme de données (composition du produit, emballage, consommation énergétique, coûts…), produit une quinzaine d’indicateurs ou critères (carbone, eau…), irrite les industriels.

Les carences de l’ACV

Virginie Delay

Selon eux, ses carences seraient en effet légion. Le manque de fiabilité d’abord : « Seules 10 % des matières premières ont un facteur d’émission connu, d’où le recours obligé, soit à un « proxi » s’il existe (huile végétale pour l’huile tournesol par exemple), soit au générique « chimical organics ». Dans les deux cas, cela revient donc à comptabiliser pareillement des produits aux enjeux possiblement très dissemblables (huile tournesol et huile d’argan) », détaille Séverine Roullet-Furnemont. « À chacun sa cuisine sans disposer, ni de tous les ingrédients, ni d’un chef pour nous guider dans l’interprétation du plat », approuve, du côté des dispositifs médicaux, Virginie Delay.

L’infaisabilité opérationnelle de l’analyse pose ensuite question : « Comparant des scénarios de produits a priori différents sur l’unité fonctionnelle, l’ACV devrait être conduite pour chaque produit et chaque usage, soit 12 empreintes différentes pour un produit disponible sous 12 formes différentes (sachet, sirop pédiatrique…) », pointe Julie Langevin. Tertio, « la démarche peut se révéler prohibitive pour certains laboratoires, difficile à répercuter sur les nouveaux produits, voire impossible sur les anciens au prix déjà cadré par l’AMM », ajoute cette dernière. Tout cela enfin sans même évoquer les secrets industriels que l’ACV pourrait contraindre à révéler…

La quête de la martingale

Anne-Laure Gavory © Snitem

Bref, « on s’interroge sur la capacité à comparer les médicaments entre eux quand autant d’incertitudes pèsent sur les résultats produits », questionne Séverine Roullet-Furnemont. Les verdicts tombent : « Le projet de notation conduit avec la DGE est voué à l’échec », assure la représentante du médicament ; « pas question d’exiger des fabricants de DM, lesquels sortent à (grand) peine du MDR (lire notre article du 30 mars 2023), qu’ils plongent maintenant dans les affres de l’ACV ! », prévient Anne-Laure Gavory, en charge de la RSE au Snitem.

Assurés qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, les industriels du médicament et du DM s’attaquent donc au sujet, de manières diverses mais tous animés du même objectif : construire une méthode capable enfin de répondre à l’intérêt de l’acheteur sans obérer, ni la faisabilité de l’opérateur, ni sa réalité économique… Soit un process réaliste, accessible à tous les industriels, quelles que soient leurs ressources (humaines et/ou financières), et accordé aux initiatives internationales plurifactorielles (eau, biodiversité…).

Des voies alternatives

Associé au Comité pour le développement durable en santé (CD2S – 900 établissements sanitaires et médico-sociaux) le Snitem a ainsi annoncé, fin 2023, l’élaboration d’un éco-score conçu sur 3 périmètres : la décarbonation, la santé environnementale et la QVT. « Pas de formule magique applicable au sparadrap comme à l’IRM. Il s’agit de bâtir un panier de critères pertinents et inopposables dans lequel piocher en fonction du produit », indique Anne-Laure Gavory. Gratuit, l’outil devrait être disponible en juin, choix ayant été fait de la méthodologie consensuelle Afnor Spécification pour faire émerger et légitimer les indicateurs.

Il faut dire qu’à l’image du Nutriscore, l’Afnor a déjà encadré 26 acteurs du secteur de la cosmétique, fournisseurs d’ingrédients, acteurs académiques, fédérations, bureaux d’études et pôle de compétitivité pour proposer une méthodologie de calcul et d’affichage de l’impact environnemental et sociétal des produits cosmétiques, de bien-être et de santé familiale, l’Afnor Spec 2215. Celle-ci s’appuie sur la mise en commun des expertises de ces opérateurs, dont le Green Impact Index développé par les Laboratoires Pierre Fabre, « un processus certes pensé pour les cosmétiques, mais appliqué déjà aussi, avec succès, sur nos médicaments », rapporte Séverine Roullet-Furnemont.

Le meilleur de chaque

Son principe ? Là encore un socle d’informations robustes, accessibles et gratuites, « l’ACV lorsque c’est possible (packaging…), sinon les cadres éprouvés : norme sur la naturalité (procédé de chimie verte), données d’écotoxicologie (méthode OCDE, règlement européen), normes ISO pour le management environnemental des usines, empreinte carbone selon le mode de transport ou la distance, etc. » détaille-t-elle. Témoignant que certaines difficultés à trouver des critères applicables et mesurables peuvent ainsi être surmontées, cette base pourrait donc être rapidement élargie aux produits pharmaceutiques.

Julie Langevin © Leem

Ou, à tout le moins, irriguer pour partie la méthodologie accomplie que le Leem recherche actuellement aux côtés d’Ecovamed, cabinet choisi dans le cadre de la dynamique fédératrice entretenue par la DGE, « une méthode de l’empreinte carbone qui devra emprunter au meilleur de chaque initiative et être la plus alignée possible avec celle développée par la Sustainable Market Initiative (organisation mondiale du secteur privé en matière de transition durable, NDLR) pour satisfaire l’ensemble des intérêt concernés », conclut Julie Langevin… Un idéal qui rime avec Graal.

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