Tour d’horizon des textes marchés publics à venir

Règlements européens sectoriels, règlement sur les délais de paiement, directive « green claims », mais aussi possibles textes à naître dans le sillage des propositions sur la simplification de la vie des entreprises… Adjoint au sous-directeur du droit de la commande publique à la DAJ de Bercy, Guillaume Delaloy revient sur les différents projets susceptibles de modifier le cadre de travail des professionnels de la commande publique d’ici à 2025.

Guillaume Delaloy

achat-logistique.info : 2024 promet d’être une année riche en nouveaux textes communautaires, actuellement à l’étude ou en phase de dialogue dans les instances de l’Union européenne. Quelle est l’avancée des différents règlements (éco-conception, produits de la construction, Critical Raw Material Act, Net Zero Industry Act) ? Et quels impacts réels auront-ils sur la commande publique ?

Guillaume Delaloy : « Les négociations sont achevées. Ces textes doivent encore être formellement votés en plénière par le Parlement et adoptés par le Conseil, avant de pouvoir être publiés au JOUE et entrer en vigueur. Certainement après les élections européennes, entre mai et l’été 2024.  Les trois premiers textes cités ont pour objet d’inclure des dispositions pour promouvoir l’achat responsable. Ils portent sur le respect d’exigences s’agissant de l’achat de certains produits, en imposant notamment des caractéristiques ou des critères.

Le NZIA s’inscrit dans une autre logique, celle de clauses pour sécuriser l’approvisionnement et assurer la souveraineté de l’économie européenne. Il s’agit, en plus de considérations relatives à l’achat responsable, d’imposer aux titulaires, dans les conditions d’exécution, de ne pas utiliser dans le cadre du marché plus de 50 % de produits issus d’Etats tiers qui n’ont pas conclu d’accord avec l’Union européenne, lorsque la part d’une technologie « zéro net » – c’est-à-dire tout ce qui est électricité propre (batteries, panneaux photovoltaïques…) –  qui proviennent d’un pays tiers représente plus de 50 % de l’approvisionnement de cette technologie au sein de l’Union. Son vote en plénière au Parlement est prévu le 22 avril. L’adoption par le Conseil sera dans la foulée, avec une publication au JOUE probablement à la mi-mai.

La Commission européenne devra préciser les modalités de mise en œuvre de ces textes par des actes d’exécution ou des actes délégués, ce qui devrait repousser leur application par les acheteurs à 2025. »

achat-logistique.info : Côté factures, la Commission a proposé, à l’automne dernier, un nouveau règlement sur la lutte contre le retard de paiement, destinée à réviser la directive 2011/7/UE du 16 février 2011, avec une mesure phare :  un délai de paiement maximal unique de 30 jours pour toutes les transactions. Le Parlement européen doit examiner le texte en avril. Cela signifie-t-il, si le texte est adopté, la fin de l’exception accordée aux hôpitaux de payer en 50 jours ? Quelle sera la position de la France à ce sujet ?

Guillaume Delaloy : « Cette proposition de fixation du délai de paiement à 30 jours pour tous les acheteurs figure en effet dans la proposition de texte de la Commission européenne. Son adoption telle quelle entrainerait la fin du délai de 50 jours octroyé aux hôpitaux publics.  Cependant,  les discussions viennent tout juste de débuter et elles ne devraient pas s’achever avant le deuxième semestre 2025. Le texte n’est donc pas encore stabilisé à ce stade, ni au Parlement, ni au Conseil.

La France a fait part de ses positions sur ce délai et des spécificités du secteur de la santé qu’il s’agit de préserver, en raison d’un mode de financement un peu particulier. Nous avons expliqué à la Commission que raccourcir les délais n’est pas forcément la solution la plus efficace, qu’il faut plutôt essayer de garder de la souplesse et faire en sorte de respecter les délais actuels.

Un autre sujet nous préoccupe par ailleurs. Dans l’actuelle directive, la procédure d’acception des marchandises est de 30 jours, sauf pratiques d’un secteur et dès lors que ce n’est pas manifestement abusif. Le futur règlement supprime cette notion d’abus manifeste et ne veut pas dépasser le délai de 30 jours, ce qui va poser un problème pour les travaux et la maîtrise d’œuvre avec la procédure du décompte général définitif (DGD). C’est aussi un point délicat sur lequel nous sommes attentifs. »

achat-logistique.info : Baptisée « Green claims », une directive est également dans les tuyaux. Elle est censée permettre d’exclure des marchés les entreprises condamnées pour avoir commercialisé des produits soi-disant moins impactant pour l’environnement. A-t-elle une chance de voir le jour ?

Guillaume Delaloy : « Les discussions se poursuivent mais avancent plus lentement que pour les règlements mentionnés précédemment. Elle ne devraient pas aboutir avant la mi-2025. L’objectif de cette directive est d’interdire l’écoblanchiment. Les mentions telles que « respectueux de l’environnement », « éco-responsable », « protège la planète » seront autorisées à condition que le fabricant soit en mesure d’avancer des preuves incontestables de la performance environnementale de son produit. L’article 17 du projet de directive prévoit une interdiction de soumissionner pour les opérateurs sanctionnés pour allégations mensongères. Toutefois, en fonction de l’évolution des négociations, ces dispositions pourraient disparaître du texte. »

achat-logistique.info : Lors du dernier forum achat public du CNA à Strasbourg, Laure Bédier, directrice des affaires juridiques du ministère des Finances, a déclaré que la Commission européenne était « maintenant un peu plus ouverte à envisager un début de prémisse de commencement de réflexion de révision des directives européennes ». Quels pourraient être les points amenés à être étudiés ?

Guillaume Delaloy : « Depuis la crise sanitaire, la France a fait part à la Commission européenne de la nécessité de remanier les directives. A l’image de la France, certains Etats membres comme la Belgique considèrent que les textes de 2014 ne sont plus adaptés aux achats stratégiques. Pendant sa PFUE, la France a été active sur le sujet de la commande publique. Un groupe de travail a été tenu sur les « goulots d’étranglement », les dispositions actuelles qui posaient des difficultés, par exemple l’utilisation des motifs d’exclusion, les modifications de contrats en cas de circonstances imprévisibles et le seuil de 50 % – qui n’existe pas pour les entités adjudicatrices -, la prise en compte de l’urgence… Ce sont des axes de réflexion.

Nous constatons que les obligations sectorielles se multiplient en matière d’achat durable. Il faudrait sans doute les intégrer de manière horizontale dans les textes généraux. La France est enfin favorable à un alignement des souplesses dont bénéficient les entités adjudicatrices au profit des pouvoirs adjudicateurs : élargissement des hypothèses de recours à la procédure négociée, plus de flexibilité dans la détermination de la durée des accords-cadres, dispositif de préférence européenne… »

achat-logistique.info : En France, doit-on se préparer à de nouveaux textes d’ici la fin de l’année ? Le rapport parlementaire sur la simplification de la vie des entreprises a fait plusieurs propositions sur la commande publique. Peuvent-ils faire l’objet d’un décret, comme l’alignement du taux des intérêts moratoires public/privé ?

Guillaume Delaloy : « Les résultats de la consultation publique lancée le 15 novembre 2023 par les ministres Bruno Le Maire et Olivia Grégoire sur la simplification de la vie des TPE/PME vont effectivement donner lieu à l’adoption de textes. Ils sont destinés à mettre en œuvre certaines des propositions formulées tant par les fédérations professionnelles que par les entreprises et les citoyens, directement ou par l’intermédiaire des parlementaires, qui ont remis leur rapport le 15 février dernier (lire notre article du 23 février).

Pour l’instant, il faut rester prudent car les réunions interministérielles se poursuivent. Il y aura un projet de décret, car nombre de mesures proposées relèvent du réglementaire. Ces mesures avaient déjà été mises sur la table dans le cadre des Assises du BTP l’année dernière : augmentation des avances pour les PME, baisse du taux maximum de garantie pour les marchés conclus par certaines collectivités territoriales ou certains établissements publics de l’Etat.

La question des intérêts moratoires est également à l’étude. Leur augmentation a été évoquée, mais cette mesure viendrait heurter le projet de règlement européen évoqué précédemment. La problématique des sanctions à prendre contre les mauvais payeurs publics est aussi sur la table. A cet égard, la ministre déléguée chargée des entreprises a récemment annoncé que les délais de paiement des collectivités territoriales seront publiés sur le site open data du gouvernement, d’ici au 15 avril pour les communes de plus de 3500 habitants, et d’ici à la fin de l’année pour l’ensemble des collectivités. Elle souhaite que cette mesure soit étendue à tous les établissements publics.

achat-logistique.info : Pour appliquer la législation et la réglementation, les acheteurs réclament souvent des outils appropriés. Où en sont les projets de développement d’outils de score environnemental (écobalyses textile et alimentaire) portés par la DAJ et le ministère de la transition écologique ?

Guillaume Delaloy : « Nous travaillons, avec les administrations concernées, à la création d’une  future plateforme en ligne sur les achats durables qui  permettra d’identifier toutes les obligations sectorielles qui s’imposent. Elle sera enrichie d’outils, notamment un tableau d’aide à la définition des besoins pour prendre en compte le développement durable dans toutes ses dimensions. L’Observatoire économique de la commande publique vient de lancer un groupe de travail à ce sujet.

En copilotage avec l’ADEME, le CGDD va mettre à disposition Ecobalyse, un outil favorisant la prise en compte du cycle de vie des produits et services. Ce calculateur en ligne, accessible gratuitement, sera capable de produire un score environnemental. L’objectif est bien qu’il puisse être utilisé dans le cadre de l’analyse des offres.

À ce stade, il est en phase de test pour le textile et l’alimentation pour vérifier son adaptabilité à l’achat public. Une consultation est d’ailleurs en ligne pour contribuer aux actions. L’outil sera ensuite étendu à d’autres secteurs. »

 

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