La revalorisation des salaires peut-elle justifier une demande d’augmentation des prix des prestations ?

Le contexte actuel d’inflation a entraîné un rehaussement du SMIC, conduisant représentants syndicaux et patronaux à engager des discussions en vue de la conclusion d’accords visant à revaloriser les niveaux de rémunération (salaires, primes, etc.) dans différentes branches d’activité. Pour les marchés de services, ce phénomène peut-il s’ajouter aux circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait prévoir et légitimer la renégociation des prix du contrat ? Angélique Dizier, directrice de projet contrats et réglementation au Resah, nous donne son point de vue.

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Les entreprises de la sécurité privée sont par exemple concernées par cette démarche. En effet, par un accord conclu le 19 septembre 2022,  syndicats et patronat ont décidé de revalorisations salariales. Cet accord a été étendu par arrêté ministériel du 19 décembre 2022  le rendant d’application obligatoire à l’ensemble des salariés relevant de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.

Toujours dans ce secteur d’activité, syndicats et patronat se sont accordés en début d’automne sur un accord triennal sur les salaires, prévoyant de nouvelles revalorisations pour les années 2024, 2025, 2026.

Ces accords collectifs de revalorisation salariale pourraient-ils avoir une incidence sur les marchés publics de sécurité en cours d’exécution ?

L’on sait que depuis la crise sanitaire, suivi du conflit armé en Ukraine, les conditions économiques sont perturbées et l’imprévu devenu une habitude. Les acheteurs publics ont en effet appris à gérer les conséquences de l’inflation généralisée sur l’exécution, surtout financière, de leurs marchés. Les revalorisations salariales pourraient-elles venir s’ajouter à la liste des « circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » permettant de renégocier les clauses financières des contrats ? (Article R. 2194-5 du code de la commande publique  et avis du Conseil d’Etat du 15 septembre 2022)

Dans de telles circonstances « imprévisibles », enseigne le Conseil d’Etat, les parties peuvent modifier le prix du contrat, en adapter les clauses de révisions ou en intégrer de nouvelles. Dans cet exercice, l’acheteur est appelé à la plus grande vigilance : toute modification qui ne serait pas justifiée dans son montant (justificatifs chiffrés à l’appui) ou dans son principe (une circonstance vraiment « imprévisible ») serait irrégulière.

Les revalorisations salariales sur lesquelles se sont entendus syndicats et patronat peuvent-elles alors être considérées comme imprévisibles ? On dira plutôt non.

En effet, la conclusion et l’application d’un accord collectif améliorant les avantages accordés aux salariés ne sont pas imprévisibles dans la mesure où l’employeur ne saurait leur être jugé « extérieur », puisqu’il est représenté lors dans leur élaboration par les représentants patronaux, selon les règles régissant le dialogue social au sein de l’entreprise ou de la branche (Le tribunal administratif d’Orléans, saisi d’une demande la SNCF tendant à ce que la Région Centre compense le surcoût généré par la réforme du régime des retraites des cheminots, l’a rejetée en considérant notamment que cette réforme ne pouvait être regardée comme « extérieure » à la SNCF dès lors qu’elle avait participé au dialogue social : TA Orléans, 7 mars 2013, n°1202843). Pas de « fait du prince » en la matière…

En outre, si le marché prévoit bien une clause de révision des prix adaptée tenant en particulier compte de l’évolution du coût de la main d’œuvre qualifiée pour l’exécution des prestations, comme le prévoit l’article R. 2112-13 du code de la commande publique, c’est elle seule est censé rendre compte de cette évolution, le prestataire ne pouvant, après l’avoir accepté, remettre en cause son application sauf à démontrer son insuffisance manifeste… ce qui sera bien compliqué compte-tenu de l’objectivité des indices.

Hypothèse à réserver : la présence d’une clause de réexamen permettant d’engager des discussions dans le cas d’un changement réglementaire relatif aux rémunérations ou avantages sociaux accordés au sein de l’entreprise titulaire. Vigilance toutefois dans la mise en œuvre (ou la rédaction) d’une telle clause : l’acheteur devra pouvoir apprécier la légitimité de la demande, en particulier au regard de la structure des coûts (surtout de la marge) et du réel impact de la nouvelle réglementation sur le périmètre du marché. Les acheteurs publics ne devraient pas finir par endosser les obligations de l’employeur en assumant la charge financière des accords négociés de bonne foi par le jeu du dialogue social.

 

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