À l’écoute des sons inquiétants du patient dans sa chambre

La start-up OSO AI, a mis au point, avec l’aide du CHU de Brest, une oreille « augmentée » capable d’identifier et de caractériser, grâce à l’intelligence artificielle, les sons émis par une personne dans sa chambre. Puis d’alerter les soignants. De quoi soulager l’organisation de beaucoup de services.

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Parmi les distinctions qu’OSO AI a reçue en cinq ans d’existence, c’est peut-être la dernière qui la touche le plus : le 1er prix de l’innovation numérique de la société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), en novembre dernier. « Une reconnaissance du potentiel de notre solution fondée sur l’exploitation du son, plus rarement sollicité en général que l’image et centrée sur le couple soigné-soignant », explique Philippe Roguedas, l’un des quatre fondateurs et directeur général de l’entreprise.

La start-up a levé 14 millions d’euros de fonds depuis 2018. Depuis deux ans, elle commercialise son oreille « augmentée ». 2000 chambres en sont équipées, principalement dans des EHPAD, des unités de soins de longue durée (USLD), de soins et de réhabilitation (USR), des unités cognitivo-comportementale (UCC). L’effectif de l’entreprise a doublé l’an dernier, passant de 25 à 50 personne et 2024 promet « une forte accélération commerciale ».

Distinguer les sons utiles

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Cette oreille « augmentée » est un petit boitier placé, doté d’un micro qui écoute en permanence ce qui se passe dans une (et autour, notamment dans la salle de bains voisine). Relié par WiFi aux téléphones portables des soignants du service, il l’est d’abord avec plateforme de l’entreprise à Brest qui analyse les sons.

« Nous sommes partis de l’idée que c’est à l’oreille que l’on porte attention à ses proches chez soi, que l’on surveille les enfants. Que c’était donc à l’oreille que l’on pouvait aussi prendre soin des personnes fragiles dans un service. Nous ne réalisions pas à quel point le son pouvait véhiculer d’informations », s’enthousiasme Philippe Roguedas.

Le défi consistait à distinguer les sons utiles, ayant trait à la sécurité et au bien-être des personnes. Des informations d’autant plus importantes à transmettre aux soignants que l’on sait, à présent, que 15 % seulement des personnes en EHPAD, par exemple, sont en mesure d’appuyer sur le boutant d’appel des soignants à bon escient.

Le bruit stressant du pousse-seringues

Philippe Roguedas

Au fil du temps, la demande des soignants à OSO AI a évolué. De l’identification de mots-clés prononcés comme « soif », « froid », de cris, de bruits d’une chute, du glissement d’une couverture à la caractérisation d’un gémissement, d’un râle, d’une toux, d’un vomissement. « Nous étions aveugles notamment sur la nuit d’un patient », rappelle Philippe Roguedas.

L’apparition du nouveau système a suscité d’autres demandes parfois étranges. Les pousse-seringues émettent un son stridant à la fin de leur course. Cela stresse le patient. Par précaution, les soignants passent plusieurs fois dans les chambres avant pour lui éviter ce bip. L’« oreille » d’OSO AI rapporte le son au soignant une bonne fois pour toutes. Cela n’évite pas le stress pour le patient mais évite au soignant des allers-retours.

L’apport de l’IA

L’intelligence artificielle, fondée sur l’enregistrement de centaines, de milliers de sons correspondant mêmes situations, de manière, le moment venu, à caractériser par comparaison un son similaire, a identifié de plus en plus précisément la nature de ces sons.

« Nous avons passé deux ans et demi à comprendre quels étaient les bruits utiles du point de vue des patients et du point de vue des soignants. Nous avons ainsi pu constituer une base de données unique au monde, qui nous rend capable de transmettre une information précise robuste et descriptive au soignant », explique Philippe Roguedas.

La demande des événements à surveiller ne finit pas de se diversifier. Dernièrement, on a demandé à OSO AI de caractériser les degrés d’agitation d’une personne. De caractériser les altercations qu’elle pouvait avoir avec son voisinage.

Programme avec la Pitié-Salpêtrière et étude avec l’ANS

L’envie des soignants d’anticiper apparaît. « Un programme de recherche a été mis en place avec le service de pneumologie de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, doté d’un budget d’1,5 million d’euros sur deux ans, pour mieux comprendre ce que la respiration peut signifier sur la santé d’une personne. Nous espérons ainsi détecter plus précocement l’installation de certaines maladies et permettre des interventions plus tôt, plus efficaces et moins coûteuses. »

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Dans les services, l’oreille « augmentée » d’OSO AI modifie le travail des soignants au quotidien. L’Agence du numérique en santé (ANS) a retenu l’entreprise pour mener une étude d’impact de son oreille augmentée au Pôle Saint-Hélier, un centre de médecine physique et de réadaptation, 180 chambres, à Rennes. La vie de l’établissement, surtout la nuit, a changé du tout au tout.

Fini les tournées des chambres systématiques au risque de perturber leur sommeil. « Le soignant est soumis à deux contraintes opposées : respecter l’intimité d’un résident, tout en veillant sur sa sécurité, ce qui se traduit le plus souvent par des passages réguliers et systématiques dans la chambre », observe Philippe Roguedas. En n’alertant le soignant qu’au besoin et en lui disant pourquoi, l’oreille « augmentée » d’OSO AI lui évite de déranger le patient pour rien et du point de vue de l’organisation des services, de perdre beaucoup de temps.

Moins intrusif que la vidéo

« Notre étude d’impact démontre que les résidents acceptent tous l’installation dans leur chambre d’une oreille augmentée des soignants, qui est bien moins intrusive que les dispositifs vidéo de surveillance », note Philippe Roguedas.

L’entreprise respecte scrupuleusement les règles de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Les sons qu’elle collecte sont anonymisés, seules les alertes sont enregistrées. Mais elles contiennent dix secondes du son inquiétant, pour que le soignant se rende bien compte de la situation. « L’oreille augmentée augmente le soignant », se plaît à dire le DG de la start-up.

OSO AI vend de deux façons son oreille « augmentée ». Un abonnement tout compris sans engagement, « pour voir comment ça marche ». Ou un achat dont le prix dépend du nombre de boitiers déployés comprenant une part d’abonnement pour les mises à jour.

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