C’est à l’acheteur de mesurer le risque
L’urgence et l’explosion de la demande provoquant la rareté de certains produits ont mis les acheteurs dans une situation inconfortable. Mais la crise les a-t-elle tous obligés à rafler le moindre stock, quel qu’en soit le prix, sans barguigner ? Malgré l’effervescence des mois de mars et d’avril, certains ont jugé bon de ne pas se précipiter. « Ma responsable hiérarchique me dit toujours : quand c’est urgent, il faut prendre son temps », témoigne Laurent Lequilliec, chef du service prospective et performance des achats à Métropole Toulon Provence Méditerranée.
Pour lui, la pandémie « a mis en lumière tout l’intérêt du sourcing et d’une connaissance fine de toutes les ressources qui nous entourent ». « C’est à l’acheteur de mesurer le risque et de prévoir du multi-attributaires en fonction. « C’est le métier qui parle », confirme Hubert Dugas, responsable des achats et de la logistique de la ville de Rouen, militant depuis toujours de la diversification des fournisseurs, « nous avons conservé la recherche d’un bon rapport qualité/prix en travaillant avec des entreprises qui avaient déjà été repérées. La crise a montré que les achats sont un vrai métier et elle a confirmé la nécessité d’avoir des professionnels dans ce domaine ».
Se respecter des deux côtés

Bertrand Pouilloux
« A Enedis, nous avons déjà une pratique de la gestion de crise, celles liées aux tempêtes par exemple, avec la nécessité de garantir les approvisionnements pour maintenir l’intégrité du réseau électrique. Une direction des achats doit comprendre les besoins, les urgences de ses clients internes des métiers. Dans ce cas, on est plus distributeur qu’acheteur. Nous intégrons que les opérationnels aient absolument besoin d’approvisionnements urgents. Nous restons attentifs à l’attitude responsable des fournisseurs », réagit Bertrand Pouilloux, directeur des achats d’Enedis, entreprise labellisée « relations fournisseurs et achats responsables » en décembre dernier.
Malgré la crise et l’urgence, le professionnel insiste sur la nécessité de privilégier le travail avec ses fournisseurs dans la durée, avec une relation la plus équilibrée possible. « Si un fournisseur adopte un comportement inapproprié ou peu éthique (ou si un fournisseur cherche à profiter de la situation), notre processus doit pouvoir en conserver la trace ! » Car il y aura un avant et un après pandémie. Comprendre les contraintes des fournisseurs, au fonctionnement contrarié par le confinement et les impératifs sanitaires, fait aussi partie du jeu.
Surmonter la crise ensemble

Hubert Dugas
Même son de cloche à Rouen. « La crise sera surmontée ensemble, avec les fournisseurs », valide Hubert Dugas qui insiste sur la nécessité de maintenir un tissu économique avec lequel travailler, alors que l’activité a chuté de 35 % fin avril par rapport à une situation normale selon l’INSEE. Dans ce contexte, les délais de paiement deviennent vitaux. « Rouen a été très à cheval sur le règlement des factures en temps et en heure » assure le responsable des achats, citant à l’appui de son propos le « cas d’école » du nettoyage des locaux. « L’épidémie est une situation de force majeure, en tout cas vue comme telle. Le cas était prévu par notre CCTP : les factures sont honorées même si les prestations ne sont pas réalisées. Il s’agit d’éviter de mettre en péril des sociétés qui ne dégagent pas beaucoup de marge. »
Des OS pour permettre le maintien de l’activité sous une forme différente
« Les consignes gouvernementales nous ont incités à mettre en sommeil les pénalités de retard et à régler les prestations forfaitaires, y compris celles qui n’étaient pas honorées, avec régularisation en sortie de crise », corrobore Philippe Maraval. Pôle Emploi a aussi cherché à fournir aux entreprises un moyen de maintenir l’activité, avec une opération de sauvetage au début du confinement, après l’arrêt brutal des marchés de formations destinés aux demandeurs d’emploi. « En trois ou quatre jours, des ordres de services ont été transmis afin d’autoriser la transformation du cahier des charges de présentiel en distanciel si l’entreprise était capable de le réaliser techniquement. »

Philippe Maraval
Une deuxième série d’OS a été envoyée pour demander à des centaines d’organismes de formation de poursuivre des cours en ligne, même s’ils ne respectaient pas le programme prévu à la lettre, avec une rémunération à la clef. Le tout pour maintenir un lien avec les formés, en attendant la reprise. Mais la peur sociale engendrée par le Covid-19 et les normes sanitaires vont obliger les fournisseurs à être inventifs. « Il est clair qu’il faudra reconfigurer les cahiers des charges. On ne reviendra pas au présentiel comme avant », conclut Philippe Maraval.