Restauration durable : l’EPFL renverse la table

Après avoir mis en place des outils de suivi connectés, revu les cahiers des charges de ses restaurateurs passés de 21 à 3 en trois ans, et décortiqué les achats, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a réduit son empreinte carbone de 30% et ses déchets par repas de plus de moitié.

© EPFL

Point d’avocat, de la viande suisse uniquement, plus d’huile de palme… les menus de l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) répondent à de plus en plus de critères en vue de satisfaire aux exigences de l’Accord de Paris à horizon 2030. Pour ce défi, le directeur de la restauration et des commerces de l’établissement (34 restaurants, 1,5 millions de repas servis par an), le cuisinier français Bruno Rossignol, en place depuis 2019, qui a travaillé aussi bien pour des palaces dans le monde entier que pour les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a dû inventer une recette particulièrement méticuleuse, pour un cocktail local, durable, frais et sain.

Une analyse nutritionnelle

© EPFL

Socle de la stratégie, toute une batterie d’indicateurs a été mise en place. La société NutriMenu, spécialisée dans l’accompagnement des professionnels de la restauration pour une auto-évaluation de la qualité nutritionnelle et de la durabilité des menus, a été missionnée pour décortiquer ceux des 21 prestataires d’alors chargés de confectionner les repas. « En même temps, nous avons relancé les marchés publics, écrit les cahiers des charges et en janvier 2020 rédigé la stratégie de la restauration 20/30 qui inclut 35 mesures imposées dans les contrats et des avenants », égrène l’insatiable Bruno Rossignol, dont le service est doté d’environ 800 000 CHF/an – soit au franc près la totalité des redevances payées par les restaurateurs – pour sa stratégie de lutte contre le réchauffement climatique.

De l’analyse nutritionnelle des menus réalisée avec les données d’achats, de recettes et les plats pour les peser, croisée avec la typologie des clients (des étudiants, des enseignants, etc.), cinq profils nutritionnels ont été retenus : sans gluten, hyper protéiné, basse calorie, mixé haché et hyper protéiné. Le plat principal est désormais de 450 grammes, d’une valeur nutritive élevée et conçu pour une satiété jusqu’au prochain repas. «  Si vous avez encore faim, vous pouvez vous resservir mais sans protéine animale », détaille Bruno Rossignol.

L’empreinte carbone des achats

Bruno Rossignol

Dans le même esprit durable, l’origine des produits a été analysée à plusieurs moments de l’année, avec l’aide de deux cabinets conseils. C’est à partir de là que la viande non suisse ou encore l’avocat ont été bannis, que le calendrier de saison a été réécrit… « Notre stratégie inclut de la souplesse : si besoin, on peut imposer une nouvelle chose à nos restaurateurs dans un délai d’un mois », précise Bruno Rossignol.

Ces éléments ont ensuite été surveillés en les croisant avec les factures de février et novembre 2020, de quatre mois de 2021 et « ligne par ligne en 2022. Désormais, nous avons une base de données avec 7350 produits et leur équivalent en nombre de grammes de CO2 émis », se réjouit Bruno Rossignol. En entrant dans l’outil NutriMenu pour élaborer une recette, le restaurateur a notamment accès aux émissions de CO2 de cette dernière. Résultat, l’empreinte carbone d’un plat a diminué en moyenne d’un tiers en deux ans en passant de 6,1 kg à 4,1 kg de CO2 par kg de marchandises achetées. Le but : atteindre un maximum de 2,5 kg en 2030.

Les déchets photographiés

© Kitro

Avant de s’attaquer à limiter les déchets, l’EPFL a sondé les étudiants sur leurs attentes. Ils déclaraient vouloir plus de plats végétariens, moins de viande… Puis l’EPFL a fait appel à une solution d’optimisation du gaspillage alimentaire, celle de Kitro, une startup issue de l’école hôtelière de Lausanne. Le système photographie les déchets, les pèse via une balance connectée placée sous les poubelles, laquelle agglomère ces données dans un tableau de bord attaché à la base de données « food » de l’EPFL.

Chiffres en main, des objectifs ont été fixés aux restaurateurs dont les déchets continuent d’être suivis à un rythme trimestriel. Ces renseignements ont permis des ajustements au fil de l’eau, Des exemples ? Le client ne prend plus son pain, c’est au moment de payer qu’on lui donne une tranche (quitte à être resservi). Les peaux d’agrumes ne sont plus jetées. Elles passent désormais au déshydrateur et sont transformées en poudre d’assaisonnement.  Résultat, en deux ans, les déchets quotidiens par personne sont passés de 50 à 21 grammes. L’objectif est fixé à 7 grammes en 2030.

Un budget CO2

Après les nouveaux appels d’offre, le nombre de restaurateurs est passé de 21 à 3. Et malgré les contraintes de suivi et d’adaptabilité, ces prestataires restent. Il faut dire que, via un extranet ils ont accès à leur performance sur la qualité nutritionnelle, l’impact carbone, les déchets, « et 20 autres points de la stratégie en direct », précise Bruno Rossignol. De quoi, pour ces prestataires, apprendre à s’adapter aux exigences de l’Accord de Paris.

Dans quelques mois, en saisissant un menu sur une seule interface, toutes les informations du système y seront visibles d’un seul coup d’œil. D’ici là, un nouveau stade sera franchi. Si les chefs de cuisine doivent respecter un budget, bientôt ils devront aussi avoir un œil sur un capital annuel de CO2 qui leur sera alloué et qu’il sera interdit de dépasser. « Et sans oublier le plaisir de manger ! », insiste Bruno Rossignol. Prochaine étape : la création du chat gpt de la restauration collective. Rendez-vous dans deux ans.

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