Les soins intensifs se mettent au vert à Rotterdam

108 gants en nitrile. 24 seringues à usage unique. 7 sacs poubelles pleins. C’est la quantité de déchets produits tous les jours pour un patient hospitalisé en réanimation. Cet électrochoc a amené Nicole Hunfeld, une pharmacienne spécialisée dans les soins intensifs, à s’attaquer à la question du développement durable. Elle s’y emploie aujourd’hui au CHU Erasmus de Rotterdam, grâce à l’initiative néerlandaise « De groene IC ».

© Marcel van de Bergh

achat-logistique.info : Pourquoi développer des soins intensifs verts ?

Dr Nicole Hunfeld : « En tant que pharmacienne spécialisée en soins intensifs, je suis basée au cœur du service de réanimation de 40 lits du CHU Erasmus avec une équipe de préparateurs en pharmacie. Notre mission est de préparer l’ensemble des médicaments pour que les infirmiers n’aient plus qu’à les contrôler et les administrer, ce qui leur fait gagner un temps précieux. À mon poste, j’ai toujours été très sensible à la question du gaspillage. Nous avons ainsi créé des « fast-tracks » pour soutenir les infirmiers dans leur travail en leur fournissant les bons médicaments et dispositifs médicaux au bon moment en évitant les pertes et les erreurs.

Pendant la pandémie de la COVID-19, les déchets générés par les soins étaient stockés de manière individualisée devant la chambre de chaque patient, pour réduire les risques de contamination. Au-delà de la situation globale, ce débordement de plastiques à usage unique a été un électrochoc. Nous essayons tous de vivre de manière plus durable dans notre vie personnelle et cet amoncellement de déchets dans notre vie professionnelle était insupportable.

J’ai donc décidé de prendre le problème à bras le corps avec des collègues, en créant le site web « Pour des soins intensifs verts » où nous partageons des trucs et astuces pour réduire notre empreinte carbone. Nous avons plusieurs rubriques (médicaments, déchets, réutilisation des métaux, etc.) avec les enseignements et bonnes idées de notre réseau. Nous listons par exemple les dispositifs qui n’ont pas à être remplacés tous les jours. Ainsi les lignes centrales de perfusion peuvent être réinstallées si nécessaire. Elles n’ont pas besoin d’être changées après une durée standard. Ce sont des informations peu connues qui réduisent fortement les déchets inutiles sans compromettre la sécurité des soins. »

achat-logistique.info : Quelle est votre stratégie pour verdir votre service de soins intensifs ?

© DR

Dr Nicole Hunfeld : « Nous avons fait appel à l’entreprise Metabolic pour obtenir un état des lieux de la situation. Cette compagnie, basée à Amsterdam, a produit un calcul global de l’empreinte environnementale de notre service de 40 lits de réanimation : production de CO2, consommation d’eau, impact sur l’agriculture… Les résultats sont édifiants : une seule journée de soins intensifs au CHU Erasmus consomme l’équivalent de 2 000 km en voiture, d’une canopée de 200 m² de forêt et d’au moins 15 000 litres d’eau. Ce travail de fond nous aussi donné une idée concrète de notre production de déchets quotidienne pour chacun de nos patients : 12 mètres de tuyaux en plastique, 57 compresses, 24 seringues, 16 surchemises, 8 protections de lit, 108 gants, etc. ! Partager ces chiffres en équipe a été un moment fort pour lancer notre démarche de soins plus durables.

Nous avons décidé de commencer par nous attaquer au problème des gants à usage unique : le nitrile n’est pas recyclable et le port des gants est un sujet très sensible pour les professionnels de santé. Grâce à un partenariat avec l’Université technique de Delft (département d’ingénierie et de design industriel), nous avons accueilli une stagiaire pour nous aider à redéfinir le système de consommation de gants.

Cette future designeuse a suivi les infirmières pendant plusieurs jours et est arrivée à un constat : une grande partie du problème vient des boites dans lesquelles les gants sont stockés. Il est très difficile d’en retirer seulement un à la fois car ils sont emmêlés dans la boite. Quand plusieurs sortent en même temps, les professionnels doivent jeter le surplus qui n’est plus stérile. Notre stagiaire a créé différents prototypes de boites à gants plus fonctionnelles sur lesquelles nous avons communiqué largement, dans l’espoir d’influencer les producteurs pour enfin avoir du matériel facilement utilisable. »

achat-logistique.info : Comment embarquez-vous vos collègues dans l’aventure du soin durable ?

Dr Nicole Hunfeld : « Il y a une forte appétence des équipes soignantes à travailler sur les sujets du développement durable mais il faut que cela s’intègre dans leur quotidien pour permettre des changements de pratique durables. En ce moment, nous étudions la question des sacs de dialyse : nous produisons 10.000 kilos de ces plastiques tous les ans dans notre service. Nous avons découvert qu’ils sont composés de polypropylène pur, ce qui permet un vrai recyclage. Mais pour ce faire, il faut que les infirmières retirent le connecteur de chaque sac avec des ciseaux spéciaux. C’est un gros challenge dans une unité de réanimation où la charge de travail est déjà élevée et intense.

Le challenge paracétamol

Travailler à des soins intensifs plus verts nécessite d’être inventifs et d’accepter de trouver des solutions qui ne sont pas totalement satisfaisantes. Dans notre service, nous utilisons des ciseaux métalliques à usage unique. Jeter ces ciseaux est une aberration environnementale, donc nous avons créé un petit écosystème avec le service de pathologie qui les réutilise. Nous avons aussi travaillé avec notre prestataire de gestion des déchets pour qu’il les récupère pour les fondre et réemployer le métal. Dans l’idéal, nous aimerions revenir à des ciseaux à usages multiples, mais notre stérilisation a réduit sa capacité au moment du passage à l’usage unique et ne peut pas réinternaliser cette tâche. Et il faut aussi que nous travaillons à nous fournir en électricité verte, ce qui n’est pas encore le cas.

Une approche ludique fonctionne bien aussi : nous venons de lancer un défi aux autres hôpitaux du Pays-Bas. L’objectif est de réduire de 25 % l’administration de paracétamol en intraveineuse et de privilégier la voie orale. Cela présente trois avantages : l’administration est plus rapide, moins chère et produit moins de déchets. »

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