Les produits équitables passent difficilement à table

Désormais éligibles aux 50 % de produits durables ou sous signes d’origine et de qualité de la loi EGalim, les produits équitables ont du mal à faire leur entrée en cuisine collective. Pourtant, l’équilibre d’un repas passe aussi par celui du rapport établi entre producteur et consommateur.

© Max Havelaar France

EGalim les avait oubliés, Climat et résilience y a remédié : depuis août 2021, les produits issus du commerce équitable font partie des 50 % de produits de qualité et durables exigés, voire des 20 % de produits bio. Mais n’aura vraisemblablement pas suffi puisque, si des villes comme Bordeaux atteignent bien 13 % de produits « fair trade » garantissant une juste rémunération des producteurs et travailleurs, aucun recensement n’atteste du décollage des produits équitables dans la majorité des collectivités.

Pire : pas un seul centre hospitalier aux premiers trophées Fairtile de la commande publique équitable (lire notre article du 23 novembre 2023)… De quoi donc désappointer les aficionados de la cause qui font de l’équité sociale portée par ces labels, « non pas une option, mais une des conditions premières de la durabilité si l’on ne veut pas la faire marcher sur la seule jambe environnementale », ainsi que le revendique Augustin Billetdoux, responsable plaidoyer à Max Havelaar France.

La question du prix

Augustin Billetdoux © Max Havelaar France

Qu’est-ce qui bloque ? En premier lieu sans doute le prix, « alors même que les hausses de budget consenties pour déployer la loi EGAlim et soutenir le tissu local n’ont finalement service qu’à absorber les surcoûts de l’inflation », pointe David Briand, responsable du service restauration au CHU de Poitiers. « Convenons qu’une forme de facilité est aussi en cause, qui incite à se cantonner aux labels déjà usités », ajoute Augustin Billetdoux.

Ainsi, aucun produit équitable sur les 19 % de produits labellisés que le SILGOM (Santé social services en logistique du Golfe du Morbihan), coordonnateur du groupement de commande breton BAGAD Santé, affiche : « Nous n’avons pas pris en compte l’intégration de ce type de références lors de nos marchés 2021-2025 », concède le responsable développement au pôle restauration dudit GIP, Mickaël Crété. Pourtant, là aussi des labels officiels existent, au nombre de 8 et couvrant l’ensemble des besoins, Nord-Sud pour les ingrédients internationaux ou origine France pour la viande, les fruits/légumes et les légumineux.

Dépasser les préjugés

« Mais le frein tient surtout aux a priori, la difficulté à « sortir du catalogue », la crainte du marché infructueux », identifie le représentant de Max Havelaar France. C’est d’ailleurs la raison de l’initiative Fairtile, créée pour accompagner l’achat équitable, notamment par la transmission aux fournisseurs de la demande agrégée des collectivités et la constitution d’une base de données, en produits finis (yaourts…) et matières premières (palets cacao à fondre). « par son action agrégative, nous faisons le pari que ce groupement contribue aussi à la création de nouvelles filières locales, comme celle d’un lait équitable prévue courant 2024 grâce à l’intérêt conjugué de quatre collectivités de Poitou-Charentes », précise-t-il.

© Epictura

Les chiffres témoignent du potentiel : « 45 % de fruits équitables inscrits aux 55 000 repas quotidiens à Marseille ou 100 % des viandes servies à Bordeaux, voilà qui casse les préjugés liés à la provenance ou aux volumes », s’enthousiasme Augustin Billetdoux tandis que les collèges de Dordogne prouvent la diversification possible avec 20 filières à leurs menus : café, cacao, bananes, légumineuses, thé mais aussi lait de coco, mangue, ananas ou encore sucre blond !

De l’équitable sans label

Enfin, s’il n’y a guère de complexité à porter un label au clausier, comment juridiquement soutenir la rémunération des indépendants sachant que seul le produit issu d’une coopérative peut être officiellement reconnu « équitable » ? Afin de soutenir les agriculteurs de leur territoire, certaines collectivités ont donc créé leur propre label – Terres de Source sur le bassin Rennais, marque IsHere lancée avec le soutien de Grenoble Alpes Métropole… Et, à l’échelle individuelle, d’autres, comme Lyon ou Clermont-Ferrand, jouent régulièrement sur l’attribution de points supplémentaires dans leurs marchés publics.

Bien décidé désormais à « travailler l’axe équitable dès janvier », Mickaël Crété pense pour sa part à pondérer le nombre d’intermédiaires entre le producteur et la cuisine centrale, tout en négociant les tarifs de manière séparée entre producteur (produit) et distributeur (transport). Et parce que le « juste prix « ne suffit pas, « il faudra aussi nous engager sur la durée pour permettre les investissements nécessaires. » Sans doute là de quoi postuler aux prochains trophées Fairtile… Et surtout l’assurance de ne plus jamais servir une banane produite par un enfant, ou un plat dont les producteurs vivent au RSA.

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *