Des véhicules sanitaires durablement plus chers

Carrossier leader en France dans la fabrication de véhicules sanitaires,  Gruau n’entrevoit pas d’arrêt à la hausse des prix en cours depuis quelques temps. Le fabricant explique les raisons de cette inflation, occasionnée par une demande supérieure à l’offre, qui ne facilite pas le renouvellement des flottes, ni leur verdissement.

« Heureusement que le gouvernement, Jean Castex comme Elisabeth Borne, ont donné instruction aux acheteurs publics de se montrer compréhensifs face à l’imprévisibilité des hausses de coûts que nous avons subies, d’une ampleur jamais vue et qu’il nous faut répercuter également de façon spectaculaire sauf à ne plus pouvoir proposer d’offre du tout. »

Sylvain Senet est directeur général du pôle véhicules sanitaires du groupe Gruau. 2500 véhicules produits par an, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, 400 employés, ces chiffres font de Gruau le champion en France sur ce marché. Mais les carrossiers sont fragiles. Après trois crises en 2000, en 2010 et en 2020 et autant de mouvements concentrations, le secteur ne compte plus que trois représentants au lieu de 15. Aujourd’hui, ils subissent ce que Sylvain Senet appelle le « chaos » automobile, surgi pour lui, il y a deux ans et demi.

80 000 € au lieu de 70 000 €

Sylvain Senet

« Tous les constructeurs automobiles, auxquels nous commandons environ 1500 châssis par an, ont dénoncé en 2020 et 2021 les protocoles en ventes directes qui nous liaient à eux : les remises sur tarifs publics, les intéressements sur le développement des volumes, les conditions de règlement ont été totalement revus ; les hausses se sont enchaînées parfois tous les trois mois. De 2020 à 2023, elles ont été de l’ordre de 15 à 20 % par an, nettes, selon les modèles. Le rythme est continu depuis trois ans », indique-t-il.

Pour lui, l’origine de cette crise se trouve dans les usines des constructeurs. « 2 millions de voitures étaient fabriquées en France en 2021, 1,38 millions l’an dernier. La demande est supérieure à l’offre. Les prix augmentent mécaniquement. »

Ce qui donne des châssis environ 10 000 € plus chers. Sylvain Senet a par exemple soumissionné pour vendre un véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) à 80 000 €, une fois pris en compte la hausse de ses prix matières et de salaires. C’aurait été à 70 000 € l’an dernier.

Intégrer le TCO et l’analyse complète du cycle de vie du produit

Face à cette inflation, ses donneurs d’ordre, établissements de santé, à travers les SAMU, les SMUR, les départements (pour les SDIS) réagissent en freinant le renouvellement de leurs flottes. Un véhicule de secours parcourt entre 20 000 km et 50 000 km par an dans le secteur public, plutôt 100 000 km par ans dans le secteur privé (groupes ambulanciers, associations comme la Croix-Rouge et l’Ordre de Malte). Ils roulent plus longtemps. Ce qui peut permettre, de faire face à des délais de livraison de véhicules neufs passés de quelques semaines à plusieurs mois.

« Le moins disant remporte souvent les affaires. La fabrication des véhicules dans des conditions socio-économiques plus favorables qu’en France, en obtenant des certificats de conformité dans des laboratoires étrangers moins exigeants, est de nature à altérer la loyauté d’attribution des marchés. Les règles de la commande publique tirent hélas encore trop le marché vers le bas. Elles sont très limitatives, par exemple, pour le verdissement des flottes sanitaires », indique Sylvain Senet.

Pour lui, ce sujet est encore dans les limbes : « Il y a un monde entre la volonté de développement durable que l’on sent immense chez les pouvoirs publics et les rédacteurs de CCTP et de CCAP. Tant que ce décalage ne sera pas rattrapé en intégrant des notions de TCO (Total Cost of Ownership – coût complet d’acquisition et de possession) dans l’expression des besoins et de LCA (Life Cycle Analysis – analyse complète du cycle de vie du produit), les marchés seront fermés à toutes les innovations que nous pouvons apporter en termes d’énergies alternatives, de recyclabilité, de limitation de consommation des ressources naturelles et de préservation de la biodiversité, etc. »

Les batteries, le talon d’Achille

Dans les années 1990, Gruau avait débordé de son rôle de carrossier et développé sa propre chaîne de traction électrique, avant de la revendre à Bolloré. Son rôle n’était pas de devenir constructeur.  Vingt ans plus tard, pour Sylvain Senet, le saut dans l’électrique n’est pas encore tout à fait d’actualité. « Le véhicule de secours, intrinsèquement, ne se prête pas aux batteries mais savons l’adapter, à partir de n’importe quel châssis, connaissant les lois de roulage, par des adaptations complémentaires, des mesures de préservation de l’autonomie et en obtenant des dérogations », explique-t-il

Le véhicule de secours obéit à la réglementation européenne EN 1789 qui, parmi de nombreuses contraintes techniques, exige une fiabilité dans toutes les situations puisqu’il s’agit de pouvoir aider des personnes en détresse vitale. Les batteries ne doivent jamais faillir. Aujourd’hui, un moteur thermique (et un réservoir de gas-oil) sert d’appoint. Gruau travaille plutôt sur une pile à combustible. Quelle que soit l’énergie choisie, il pense par ailleurs, observant l’ampleur de la transformation à accomplir dans des délais rapprochés, que le rétrofit (le changement du seul système de traction) s’imposera.

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