Rapiat, tête de pont d’une anatomocytopathologie plus durable

Pour gagner du temps, certains examens anatomocytopathologiques sont systématisés. Au CHU de Bordeaux, le docteur Rémi Vergara a consacré sa thèse à l’estimation économique et à l’efficacité diagnostique de ces pratiques. Récompensée par deux prix, dont l’un décerné au dernier Santexpo, sa « Revue et analyse de la pertinence des investigations techniques » (Rapiat) a permis à l’hôpital de mettre un terme à une partie de ces examens finalement inutiles, de réduire la consommation de réactifs polluants et d’économiser près de 30 000 euros par an.

© service de pathologie du CHU de Bordeaux

Parfois, il faut savoir lever le nez du guidon et s’interroger sur ses pratiques quotidiennes. En 2019, le docteur Rémi Vergara, dans le cadre de sa thèse, se pose la question s’agissant de certains examens d’anatomocytopathologie (analyses des cellules et tissus provenant de biopsie ou de pièces opératoires) pratiqués au CHU de Bordeaux. Réalisés en partie à la main, ils nécessitent beaucoup plus de temps que la biologie médicale. Pour aller plus vite, une partie d’entre eux, en fonction du prélèvement, sont prescrits de manière systématique dites « en première intention ».

Le jeune médecin démarre alors ce qu’il baptise une « revue et analyse de la pertinence des investigations anatomopathologiques techniques », à l’acronyme plutôt savoureux (RAPIAT). Son ambition : estimer non seulement le coût annuel de ces techniques, mais aussi leur utilité. Dix procédures systématisées sont retenues : cinq colorations spéciales, une technique de cytologie et trois techniques d’immunohistochimie (IHC).

Combien ça coûte ?

Travail de Romain, la première phase consiste à recenser leur nombre sur la période allant de janvier 2018 à décembre 2019, et à récolter tous les éléments de coût. Evidemment les matériels (réactifs, lame en verre, lamelle de protection, étiquette patient…), mais aussi les postes RH et les charges indirectes (amortissement des machines, foncier, logistique, énergie, fluides…). C’est une première dans l’hexagone. « Cela a été compliqué. Personne ne connaissait par exemple le coût des bains de coloration qui sont changés périodiquement », éclaire l’interne, « par ailleurs, certains réactifs sont mis en soute où ils sont pompés par plusieurs laboratoires ».

Six mois sont nécessaires pour boucler cet inventaire et récupérer les prix auprès des responsables de commandes. Mais Rapiat parvient à chiffrer la dépense occasionnée par chaque technique utilisée systématiquement et à repérer les plus onéreuses. Résultat, pour les 10 techniques précitées, la facture atteint, en moyenne sur 2018 et 2019, 46 631 euros pour 9 745 lames.

Est-ce vraiment utile ?

Afin de vérifier la pertinence de ces techniques, les douze médecins pathologistes du service sont questionnés sur une période de six mois en 2020 : la procédure a-t-elle modifié le diagnostic ? Aurait-elle été exigée si elle n’avait pas été réalisée d’office ? Côté colorations, 50 % sont considérées comme inutiles. Côté cytologie, le taux oscille entre 77 et 97 %. Et entre 70 et 94 % pour les IHC en fonction de l’organe visé.

© service de pathologie du CHU de Bordeaux

Après concertation, il est décidé de supprimer sept procédures jusqu’ici faites systématiquement en première intention. Un changement de pratiques susceptible de dégager annuellement 30 903 euros. En prenant en compte les analyses faites en deuxième intention sur demande des médecins, l’économie réelle atteint 28 832 euros sur douze mois. Sans conséquence sur la qualité du diagnostic. « C’était une somme dépensée en pure perte qui n’apportait rien au patient », confirme le Dr Vergara. De l’argent qui pourrait par exemple contribuer au recrutement d’un technicien de laboratoire supplémentaire.

L’impact environnemental et social

L’autre bénéfice est évidemment écologique. Car les bains de coloration utilisés, effluents chimiques, sont incinérés. Conditionnés dans de petits flacons en plastique non recyclables, les anticorps partent en DASRI. « En plus, ajoute l’interne,  il y a toujours un petit volume mort dans les contenants de ces solutions chimiques qu’il nous est impossible de récupérer. C’est un problème de conditionnement. On essaie de faire bouger les industriels. » Sans compter la satisfaction au travail ressentie par les techniciens et les médecins par ce recentrage des activités sur l’essentiel.

Le docteur Vergara a soutenu sa thèse en novembre 2021. Et ses investigations, uniques en leur genre, ont été distinguées à deux reprises. La première fois en 2021 à Carrefour Pathologie, où Rapiat a décroché le prix du meilleur e-poster. Le travail a d’ailleurs donné un coup de fouet à la problématique du développement durable.  Une session d’une demi-journée a été dédiée au thème à Carrefour 2022. Et une autre intitulée « comment en faire autant avec moins » aux Assises de la Pathologie à Pau au début de ce mois.

Développer le recyclage

« Nous sommes au tout début de cette approche durable en anapath, contrairement à l’anesthésie et à la chirurgie. Mais il y a une belle dynamique qui se met en place avec la création d’un collectif national, le TEAP (Transformation Ecologique en AcP). Cette étude a montré qu’on pouvait allier économie, écologie et social, les trois piliers d’une initiative durable. Cela a démarré un cycle vertueux. A Lyon, où je suis en stage, les HCL ont évalué le coût environnemental d’une lame à environ 600 mg de CO2. A multiplier par le nombre d’examens en France… »

Rémi Vergara (à gauche) aux côtés de Rudy Chouvel de la FHF lors de la remise des prix à Santexpo.

Rapiat a brillé une seconde fois lors du dernier Santexpo. La Fédération hospitalière de France (FHF) lui a décerné le prix de la thèse dans la catégorie « pertinence et impact médico-économique ». Pour le jeune médecin, « le temps de l’opulence est terminé. Que l’on aime l’écologie ou pas, nous allons affronter un problème de ressources ». Et de citer l’exemple de la paraffine. « On en utilise des quantités industrielles de ce dérivé du pétrole, dont les gisements ne sont pas éternels. Il va donc falloir imaginer des processus pour réutiliser ou recycler cette matière. »

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