Ecoresponsabilité : les pros de l’épaule se mettent en cercle

Quand des chirurgiens de l’épaule se serrent les coudes pour l’écoresponsabilité de leurs actes, ça donne le Green Shoulder Circle. Ce cercle se mobilise en faveur de matériels réutilisables, mais il liste également les nombreuses bonnes pratiques pour changer les habitudes au bloc opératoire.

Tout est parti d’une colère. « En France, la législation nous oblige à jeter et à incinérer les instruments à usage unique pour placer une ou des ancres (les dispositifs médicaux aux allures de vis insérés dans les épaules, NDLR). Quand j’opère 200 épaules par an, je jette 600 tournevis. Or quand on opère un genou, le tournevis est réutilisable, on peut le stériliser. Ça ne rime à rien », s’emporte Vincent Martinel, chirurgien orthopédiste spécialiste de l’épaule à la Polyclinique de L’Ormeau à Tarbes (65).

© Polyclinique de l’Ormeau

De ce constat est né, en mars 2022, le Green Shoulder Circle avec ce médecin et quatre de ses confrères, initialement regroupés autour d’un industriel pour créer un tournevis réutilisable. Au départ de ce « cercle de l’épaule verte », leur action a surtout consisté à faire du « buzz » autour de l’incohérence du cadre réglementaire sur LinkedIn (700 followers début octobre), sur YouTube, sur la plateforme BeeMed etc.

« Ce sont les industriels qui ont fait le choix de l’usage unique, sans demander aux chirurgiens », estime celui de Tarbes. « Comme nous ne sommes pas écoutés, nous avons voulu retourner le pouvoir en devenant web influenceur. Si nous sommes 5000 à protester en demandant des tournevis réutilisables, les industriels commenceront à bouger », espère le chirurgien.

Lister les bonnes pratiques

Avant d’obtenir que les fournisseurs se mettent davantage aux tournevis réutilisables, le Green Shoulder Circle s’attache à lister les gestes écoresponsables possibles à mettre immédiatement en place dans les blocs. Ainsi : utiliser des tenues en coton lavables ; réduire les kits à usage unique ; limiter le nombre d’instruments dans les boîtes qui, une fois ouvertes, nécessitent une stérilisation de l’ensemble de leur contenu, utilisé ou pas…

Sur son site web, le Cercle incite également à une sobriété thérapeutique allant jusqu’à rappeler qu’un traitement fonctionnel non chirurgical est parfois plus justifié qu’une opération, à proposer de la téléconsultation pré opératoire, ou encore, dans certains cas, une échographie plutôt qu’une imagerie en post-opératoire. Pour tout cela « on attend que l’industrie paie les études d’impact carbone. La méthodologie existe mais il faut faire appel à des sociétés spécialisées et aller jusqu’au scope 3 (c’est-à-dire l’analyse des émissions indirectes de CO2, NDLR) sachant que nous chirurgiens ne connaissons pas toutes les subtilités de cette méthodologie, ce qui rend difficile une analyse critique des résultats fournis par certains industriels », rappelle Vincent Martinel.

Agir pour le tri des déchets

Dans ce contexte, la Polyclinique de l’Ormeau affine ses processus pour rendre son bloc écoresponsable. Notamment en termes de déchets. « Nous sommes parvenus à éradiquer les DASRI -plus coûteux à gérer et plus énergivore à traiter que le reste- à 95 % », se félicite Vincent Martinel. Le résultat est spectaculaire et la méthode d’apparence plutôt simple.

© Polyclinique de l’Ormeau

Si jusque-là 100 % des déchets étaient placés dans des sacs jaunes, désormais ont été mis en place des filières de tri dans les salles opératoires, avec des poches noires pour ce qui est assimilé à de l’ordure ménagère, et des transparentes pour ce qui est recyclable. Autre révolution dans les coutumes : les champs opératoires tachés ne finissent plus dans les DASRI.

« Il a fallu convaincre les acteurs du bloc de changer d’habitude. Cela a nécessité de créer une commission de développement durable, regroupant des médecins, des infirmières, des référents « qualité », qui se réunit depuis deux ans plusieurs fois par an pour protocoliser les choses, faire le point sur ce qui est mis en place et les améliorations possibles », détaille Vincent Martinel.  Il a fallu acheter des poches aux nouvelles couleurs, des bacs empilables sur des chariots à roulettes (un pour les fils de bistouri, un pour les lames de laryngoscopes…).

Il a été aussi nécessaire de réorganiser le circuit des déchets en conséquence, par exemple pour laver les câbles des bistouris avant qu’ils ne quittent l’établissement, mais aussi s’entendre sur les processus avec le gestionnaire local de la collecte des déchets, trouver de nouveaux prestataires pour des déchets spécifiques non pris en charge par ce dernier, comme le métal. « Au bout de 6 mois, nous avons réalisé que tous nos bacs et sacs se retrouvaient en fait dans une seule benne et que nous avions jusque-là fait tant d’efforts en vain », précise Vincent Martinel pour expliquer la nécessité que toute la chaîne soit impliquée dans la réflexion et sa mise en place pour éviter des aberrations.

Revoir la gestion des fluides

Vincent Martinel

Dans la même veine, deux collecteurs de fluides chirurgicaux ont été mis à disposition des blocs. Ainsi, c’est autant d’eau sale qui n’est plus assimilée à un DASRI. Autre avantage de cette organisation : c’en est terminé des bocaux de 3 litres à porter jusqu’à un bac. Il s’agit désormais pour les équipes de déplacer un contenant à roulettes jusqu’aux toilettes, de le clipser sur la cuvette pour évacuer le contenu dans les canalisations. C’est beaucoup moins pénible physiquement.

« Les commerciaux savent calculer l’équivalent entre le coût du traitement en DASRI de tel volume de fluides chirurgicaux et celui de leur machine. Ainsi, pour la même dépense, nous avons en eu deux ! », remarque Vincent Martinel avant de rappeler qu’il s’agit d’une dépense égale mais surtout d’un confort supplémentaire pour le personnel et même la possibilité d’une communication sur un écogeste en plus. De quoi cultiver, pas après pas, la volonté, au sein du Green Shoulder Circle de faire évoluer à la baisse le recours à l’usage unique dans la chirurgie de l’épaule.

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