Coffi Gnanguenon : être la locomotive des achats responsables dans le domaine de la santé

Après les rencontres de l’AFIB et les journées Europharmat, Coffi Gnanguenon, directeur des achats du Resah, revient sur les principaux enjeux du secteur du biomédical, filière majeure pour les hôpitaux, de la cybersécurité à l’innovation, en passant par les nouveaux modèles contractuels et financiers. Il évoque aussi le rôle que peut jouer la centrale d’achat afin de verdir les parcs des établissements.

achat-logistique.info : Que représente la part du biomédical dans le chiffre d’affaires de la centrale d’achat ?

Coffi Gnanguenon : « La part du biomédical, comprenant les dispositifs médicaux et les équipements lourds, a représenté en 2022 environ 350 millions d’euros au sein de la centrale d’achat du Resah, soit 10 % du volume total des achats (2 milliards d’euros), avec un gain d’achat de 13 millions d’euros. Le biomédical occupe la 3e place en termes de volume d’achat au sein du Resah, juste après les produits de santé (tels que les médicaments et les dispositifs médicaux) ainsi que les achats de systèmes d’information et de télécommunication. Cette filière est d’une importance stratégique majeure, car elle constitue le fondement de l’organisation des plateaux techniques au sein des établissements de santé. »

achat-logistique.info : Le développement durable s’impose désormais comme un enjeu majeur dans le secteur de la santé. Interrogée dans nos colonnes, Valérie Moreno, présidente de l’AFIB, constatait « qu’il n’y avait pas encore d’évolution franche du matériel dans cette direction et incitait les acheteurs à se grouper pour mettre la pression sur les fournisseurs ». Quel rôle peut jouer la centrale d’achat ?

Coffi Gnanguenon : « Elle peut agir de plusieurs manières pour encourager la transition vers des pratiques plus durables et responsables. Il y a d’abord la sélection des fournisseurs. L’idée est de privilégier les prestataires qui adoptent des processus de production respectueux de l’environnement, utilisent des matériaux recyclables ou favorisent l’économie circulaire.

Elle va également encourager l’innovation grâce notamment à notre direction de l’innovation et de l’international avec un écosystème permettant de détecter, de promouvoir et d’appuyer les starts up à développer des produits et des technologies plus durables.

Comme mentionné dans votre question, les centrales d’achat peuvent rassembler plusieurs établissements de santé ou organisations pour négocier des contrats d’achat groupés. Cela peut renforcer notre pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs et leur permettre de faire pression pour obtenir des équipements et des services plus durables à des prix compétitifs groupés.

Nous avons également un rôle d’éducation et sensibilisation auprès des acheteurs. Fin 2021, le Resah est devenu le 1er acteur public du secteur de la santé à obtenir le label RFAR. Nous voulons être la locomotive des achats responsable dans le domaine de la santé et d’encourager nos bénéficiaires et les fournisseurs dans cette démarche. C’est pourquoi nous organisons plusieurs évènements comme les GEB (Groupe d’étude et de benchmarking) sur la thématique, des formations et des ressources pour aider les utilisateurs finaux à prendre des décisions d’achat plus responsables. C’est aussi dans ce but qu’on a créé le guichet de l’acheteur hospitalier responsable, bouquet complet de services proposé exclusivement aux établissements de santé relevant de la commande publique. Comme vous pouvez le voir, nous sommes plutôt dans l’action que dans la communication. »

achat-logistique.info : Vous rencontrez les industriels et vous fréquentez régulièrement les salons professionnels en Europe et en Amérique du Nord. À quels évolutions et perfectionnements doit-on s’attendre ? L’intelligence artificielle est-elle par exemple amenée à investir tous les matériels ?

Coffi Gnanguenon : « L’IA a déjà commencé à transformer la manière dont les dispositifs médicaux sont conçus et utilisés. Elle permettra d’améliorer la précision des diagnostics, d’optimiser les traitements, et même de prédire les besoins des patients.

Elle ne se limite pas aux équipements de pointe puisqu’elle est en train de s’étendre à toute la gamme des équipements biomédicaux, des dispositifs portables aux machines de diagnostic complexes. Par exemple, les dispositifs de surveillance à domicile peuvent être dotés de capacités d’analyse des données en temps réel pour alerter les professionnels de la santé en cas de situations préoccupantes. De même, les équipements de radiologie peuvent bénéficier de l’IA pour accélérer l’interprétation des images médicales et détecter plus rapidement les anomalies.

Quant aux perfectionnements, on peut s’attendre à des avancées continues dans la miniaturisation des équipements, ce qui permettra des interventions médicales moins invasives et des traitements plus ciblés. De plus, les matériaux et les revêtements biomédicaux connaîtront des améliorations pour réduire le risque d’infections nosocomiales et améliorer la biocompatibilité. »

achat-logistique.info : Comment repérez-vous les équipements de demain capables de répondre aux besoins présents et futurs des établissements ?

Coffi Gnanguenon : « Nous adoptons une approche basée sur la veille technologique, la collaboration étroite avec les professionnels de la santé, et l’analyse des tendances du marché. Cela comprend la surveillance des publications scientifiques, la participation à des conférences et salons professionnels nationaux et internationaux, ainsi que le suivi des innovations des fabricants d’équipements médicaux avec lesquels nous avons des contacts réguliers.  Nous entretenons également des relations étroites avec les praticiens et les experts médicaux pour comprendre leurs besoins actuels et anticiper leurs exigences futures. Les retours d’expérience des médecins, infirmières et autres professionnels de la santé sont essentiels pour orienter nos choix en matière d’équipements.

Nous collaborons étroitement avec les fabricants pour comprendre leur feuille de route en matière de développement de produits. Cette coopération nous permet d’être informés des prochaines sorties d’équipements et de participer au processus de spécification pour répondre aux besoins des établissements en les aidant également sur les modèles économiques à adopter.

Avant de choisir de nouveaux équipements, nous effectuons des évaluations rigoureuses pour nous assurer qu’ils répondent aux normes de qualité, de sécurité et d’efficacité. Les essais cliniques et les retours des utilisateurs jouent un rôle essentiel dans cette étape.

Au niveau de la stratégie achat, nous nous efforçons de prévoir les besoins futurs des établissements de santé en nous basant sur les tendances démographiques, les évolutions dans les protocoles de soins, les avancées thérapeutiques, et les attentes de nos bénéficiaires. »

achat-logistique.info : De plus en plus de DM ou de matériels d’imagerie sont désormais connectés, avez-vous pris des mesures particulières concernant la cybersécurité dans vos appels d’offres ?

Coffi Gnanguenon : « Absolument. La cybersécurité est une priorité dans nos appels d’offres. Nous incluons des exigences strictes dans nos cahiers des charges en utilisant notamment le questionnaire réalisé par l’AFIB sur le sujet. Cela comprend des normes de cryptage, des protections contre les logiciels malveillants, des mises à jour régulières du système, et d’autres mesures de sécurité nécessaires.

Avant de conclure un contrat avec un fournisseur, nous évaluons leurs protocoles de cybersécurité. Cela inclut l’examen de leurs pratiques de gestion des risques, de leur conformité aux normes de sécurité, et de leur capacité à répondre aux vulnérabilités potentielles. »

achat-logistique.info : Plutôt que d’acheter, l’hôpital de la capitale du Grand-Duché du Luxembourg (lire notre article du 30 novembre 2022) a récemment opté pour de la location « all inclusive » (mise à disposition, réparations, maintenance évolutive, monitoring des données…) pour moderniser rapidement son parc d’échographes, doit-on s’attendre à un développement de cette formule ?

Coffi Gnanguenon : « Le choix de l’hôpital luxembourgeois reflète une tendance croissante dans le secteur de la santé. Ce modèle de location permet aux établissements de santé de moderniser rapidement leur parc d’équipements médicaux tout en maîtrisant les coûts.

Plusieurs facteurs contribuent à sa popularité croissante de ce modèle. La location « all inclusive », qui peut aussi être appelé « gestion de parc », permet aux établissements de santé de réduire les coûts initiaux, car ils n’ont pas besoin d’investir une somme importante pour l’achat d’équipements onéreux. Les coûts sont répartis sur une période de location. L’inclusion des différents types de maintenance (préventive et tous risques) garantit un fonctionnement fiable de l’équipement et une disponibilité maximale. Ces contrats prévoient souvent des mises à jour technologiques, permettant aux établissements de santé de rester à la pointe de la technologie sans avoir à racheter du matériel.

Ce mode de financement offre une plus grande flexibilité, car les établissements de santé peuvent adapter leur équipement en fonction de leurs besoins changeants, sans s’engager à long terme avec une gestion simplifiée. On peut s’attendre à ce que cette formule continue de se développer sur des thématiques comme les amplificateurs de bloc opératoire, le monitorage et même l’imagerie lourde, car il offre une solution attrayante pour les établissements de santé qui cherchent à moderniser rapidement leur équipement tout en garantissant une gestion efficace et des coûts prévisibles.  La tendance sera de plus en plus vers l’usage et le partage d’un bien ou d’un service plutôt que son acquisition qui présentent plusieurs avantages, notamment du point de vue économique, environnemental et social. Cependant, la décision de choisir la location ou l’achat dépendra des besoins et de la stratégie financière spécifiques de chaque établissement de santé. »

achat-logistique.info : En 2019, le SNITEM estimait que la France disposait d’un parc d’imagerie jeune mais insuffisant, avec dans le cas des scanners un taux par habitant inférieur à la moyenne de l’Europe occidentale. Comment pouvez-vous aider les établissements à mieux s’équiper ?

Coffi Gnanguenon :  « Pour aider les établissements de santé à mieux s’équiper en matière d’imagerie médicale, il existe plusieurs solutions financières et des approches que nous pouvons envisager. Il est à noter que la modification récente des autorisations en régime d’imagerie qui apporte une souplesse devrait accélérer l’implantation des équipements. Désormais elles seront accordées par site géographique et non plus par équipement avec un nombre maximal de 3 Equipements Matériels Lourds (EML) par site géographique autorisé, dont au moins 1 scanner et 1 IRM.

Pour revenir à votre question initiale, nous négocions des accords préférentiels avec les fabricants et les fournisseurs d’équipements médicaux, avec des tarifs avantageux lors de l’acquisition de nouveaux équipements d’imagerie. La mise en place de contrats de location ou de leasing d’équipements d’imagerie offre aussi aux établissements de santé la faculté de bénéficier d’un équipement de pointe sans avoir à débourser une somme importante immédiatement, mais plutôt sous forme de paiements mensuels avec la possibilité de racheter l’équipement en fin de contrat.

Il faut collaborer de plus en plus avec les fournisseurs pour développer de nouveaux modèles économiques et les voir plutôt comme des partenaires dans la transformation de notre système de santé et l’amélioration à l’accès à l’imagerie médicale en France. Pour les établissements justifiant d’un scanner dédié au-delà de 30 000 examens par an, nous avons, par exemple, mis en place un marché avec un système de financement innovant de scanner d’urgence basé sur le coût à l’acte avec des objectifs définis en concertation avec les établissements et les fournisseurs. Le modèle est gagnant pour toutes les parties. »

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *