Logistique d’étage : pour partir du bon pied

La fonction de logistique d’étage entre progressivement dans les mœurs. Déjà opérée à Amiens, Lorient, Saint-Nazaire ou Rouen, programmée avec l’arrivée de nouveaux bâtiments comme à Caen ou à Tours, elle a pour ambition de redonner du temps aux soignants, tout en améliorant la gestion des commandes et des stocks. Mais cette professionnalisation des derniers mètres suscite beaucoup d’interrogations : par quel service commencer, quel système d’approvisionnement privilégier, quel profil recruter… Experts à l’Anap, Franck Caupin et Aurélien Pierre livrent leurs recommandations.

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32 %. C’est la proportion de structures qui ont déployé une fonction logistique d’étage, selon l’enquête nationale menée par l’Anap en 2023 (271 établissements ont participé au questionnaire). Derrière ce chiffre se cachent évidemment des disparités. Plus de la moitié des CHU (52 %) ont déjà franchi le Rubicon. Centres de lutte contre le cancer et ESPIC s’approchent de ce seuil (42 %). La professionnalisation de la logistique des derniers mètres est en revanche moins engagée dans les cliniques (33 %) et les centres hospitaliers (26 %).

Un outil pour évaluer la charge logistique des soignants au printemps

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C’est peu et beaucoup à la fois. Car l’ambition de la formule est de délester les soignants de certaines tâches et de leur permettre de se consacrer à leurs patients. Un objectif alléchant en ces temps de disette de personnel soignant. Pour objectiver la question, l’Anap met la dernière main à un outil, dont la sortie est prévue à la fin du mois de mars. Grâce aux éléments renseignés par l’établissement et les soignants (via un QR code ou un lien), il quantifiera, par service, la charge logistique des professionnels de santé sur une durée d’une semaine. Il permettra d’identifier, par activité, par profil (cadre de soin, infirmière…) et par action, quelles sont les activités les plus chronophages.

Cerise sur le gâteau, il estimera les besoins en ETP. « Aujourd’hui, on a très peu d’études sur le sujet. On doit connaître les bénéfices apportés si on veut argumenter et montrer qu’il faut réinvestir dans les réserves », plaide Franck Caupin. L’expert logistique à l’Anap avance plusieurs arguments pour expliquer la métamorphose mesurée de la logistique d’étage. Trouver la martingale n’est pas aisé. « Beaucoup d’établissements veulent s’engager, mais sans savoir comment s’y prendre concrètement », observe-t-il.

Identifier le bon service avec un cadre prêt à s’investir

Manager ce type de projet – qui implique une multiplicité d’acteur et impacte les organisations des services – non plus. D’autant que des résistances sont en mesure de surgir. « Certains cadres de soins peuvent se sentir dépossédés de la fonction approvisionnement », constate Franck Caupin. D’autres craindre des dysfonctionnements ou des ruptures de stock. Bref, la fonction logistique doit donc être suffisamment mature pour porter la démarche (voir l’outil d’autodiagnostic mis à disposition par l’Anap). « Nous recommandons de mettre en place des contrats de service (voir le modèle proposé par l’Agence), pierre angulaire du dispositif, et d’y associer des indicateurs de performance ».

Avec quel service démarrer l’expérience et démontrer son savoir-faire ? L’étude nationale montre qu’il n’y a pas vraiment de dogme en la matière. Aujourd’hui, la logistique d’étage a été installée aussi bien dans les soins aigus (19 %) que les urgences (15 %), les services d’hospitalisation (14 %) ou l’ambulatoire (11 %).  Cependant, l’expert logistique conseille plutôt d’entamer le processus par une unité d’hospitalisation assez stable. « Il faut identifier le bon service avec un cadre prêt à s’investir. La communication est une facette stratégique du projet car le cadre de soins, en véhiculant les atouts du système auprès de ses collègues, donnera confiance dans la prestation proposée. »

Associer logistique d’étage et réapprovisionnement dynamique

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Ce test grandeur nature sera capable de valider le scenario retenu (activités et articles). Selon l’enquête, le logisticien d’étage est actuellement surtout chargé des produits généraux et hôteliers (51 %) et dispositifs médicaux non stériles (50 %), puis dans une moindre mesure des dispositifs médicaux stériles (42 %) et du linge (36 %). « Pour les établissements qui ont déployé la fonction, 6 % seulement ont un périmètre élargi, de la restauration aux DM, avec des interventions supérieures à 31 activités logistiques », précise Franck Caupin. Les hypothèses de départ peuvent être réadaptées si besoin. « On a le droit à l’erreur. Le pilote permettra de limiter les risques », insiste l’expert.

Mieux vaut aussi associer cette transformation avec une modernisation des outils et des méthodes. « Il est aussi nécessaire de dégager du temps logistique et d’optimiser aussi ses processus internes, car il sera impossible d’embaucher une armée de logisticiens. Notre préconisation est d’aller vers l’informatisation et un système de réapprovisionnement dynamique avec le système du plein/vide. Réaménager les réserves est un vecteur de communication. Les services de soin verront effectivement qu’il y a une amélioration », pointe Franck Caupin.

La dimension RH

Autre question qui taraude : à qui confier le job ? L’enquête montre que les écoles diffèrent. Dans un tiers des cas, il s’agit d’un soignant. Dans environ un cas sur cinq (22 %), le poste est occupé par un logisticien de profession. Mais d’autres profils existent : gestionnaires ou techniciens (13 %), préparateurs de pharmacie (12 %)… « Il y a une vraie plus-value à positionner d’anciens soignants sur ces fonctions logistiques. Ils ont une connaissance approfondie des besoins opérationnels, des défis quotidiens. Cette expertise combinée à leur savoir-faire, la compréhension des processus cliniques font finalement qu’ils sont des choix et postulants idéaux pour les équipes logistiques. Qui mieux qu’eux peut comprendre l’importance cruciale d’un approvisionnement précis et ponctuel en matériel ? », plaide Aurélien Pierre, expert RH à l’Anap  (voir le modèle de fiche de poste réalisé par l’Agence).

Cette nouvelle manière de gérer les réserves est une opportunité de mobilité interne. « C’est une démarche gagnant/gagnant. Elle permet aux soignants de se réinventer, de se reconvertir, d’accéder à de nouvelles perspectives en restant dans le même établissement », assure Aurélien Pierre. Autre avantage de la formule souligné par Franck Caupin : une intégration facilitée.  « Le logisticien mettra un peu plus de temps avant d’être « accepté » alors que le soignant est déjà dans son milieu : il connaît les protocoles, l’utilisation des produits. Reste qu’on ne s’improvise pas logisticien du jour au lendemain. Aurélien Pierre pousse à la création de programmes ciblés afin de permettre aux candidats de se familiariser au sujet. « On encourage également le développement du mentorat avec des professionnels aguerris pour favoriser le partage d’expériences. »

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