Restauration : révolution de palais aux HUS

Plus de 80% de convives satisfaits. Quelle est la recette du succès des cuisines des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ? S’accorder avec les diététiciens pour adopter de nouvelles recommandations nutritionnelles. Et proposer au menu de grands classiques,  appréciés du plus grand nombre, et maîtrisés par l’unité de production. Car faire en sorte que le patient mange reste la finalité du travail des équipes de restauration. Un objectif parfois perdu de vue.

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« Aujourd’hui, on a 81,7 % des personnes satisfaites ou très satisfaites. Avec pratiquement les mêmes chiffres en oncologie  ». Laurent Trasrieux, responsable de la restauration des HUS, n’est pas peu fier de ce résultat. Surtout quand on sait que la nourriture (près de 4000 repas par jour pour le court et moyen séjour) est encore proposée aux patients dans une barquette. Contrairement à certains chefs étoilés qui ne dévoilent pas leurs recettes, le professionnel accepte volontiers de livrer ses secrets de cuisine.

Le changement de paradigme démarre pendant la crise sanitaire. Mal pour un bien, le Covid et la baisse d’activité offrent un peu de répit à Laurent Trasrieux. Au moins de quoi jeter sur le papier un projet qui lui tient à cœur depuis des lustres. Comment redonner envie aux patients de manger, de terminer leur repas ?  « Je me suis dit : qu’est-ce que je voudrais manger si j’étais à l’hôpital ? Des spaghetti bolognese, des lasagnes… ». Son idée : privilégier des plats à la fois populaires, rassurants, appréciés de tous, et maîtrisées par les équipes.

Adoption des recommandations nutritionnelles de la SFNCM

Laurent Trasrieux © JMB

Sa réflexion se concentre sur le plat principal, enjeu majeur à l’hôpital « C’est lui qui fournit les protéines et les calories dont le corps a besoin pour se renforcer, c’est aussi lui qui coûte le plus cher et qui est le plus jeté ». Ses partis pris : favoriser les féculents « parce que cela fait envie », bannir le gras, les os, la peau. Exit donc l’omniprésente cuisse de poulet. « C’est du bon sens. Le patient est alité. Comment peut-il découper une cuisse plutôt à l’étroit dans une barquette ? Au bout de deux minutes, il abandonne. Il mange 30 grammes de viande sur les 100 espérés. Le reste part à la poubelle ». Selon lui, le plat idéal est celui qu’un patient peut manger d’une main, sans forcément avoir recours à un couteau.

Il expose ses idées à ses collègues diététiciens, encadrés par Florian Piran. Les deux approches s’accordent grâce aux nouvelles recommandations nutritionnelles de la Société francophone nutrition clinique et métabolisme (SFNCM) sorties en 2019. « Nous devons suivre des cibles nutritionnelles par repas : quand je propose cette entrée, ce plat, ce dessert, je dois avoir tant de protéines, tant de calories ».

Burger et pizza faits maison

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La clef aux yeux de Laurent Trasrieux.  « La très grande majorité des hôpitaux fonctionne à partir des recommandations du GEM RCN (groupe d’étude de marchés restauration collective et nutrition, NDR). Celles-ci  ont le mérite d’exister mais elles ne sont pas adaptées à notre milieu. Elles se basent sur une fréquence de produits à fournir x fois tous les x repas. Mais ces fréquences ne correspondent pas à la durée de séjour à l’hôpital. » Le responsable de la restauration refuse aussi d’appliquer « bêtement les règles » : « au nom de ces principes, des produits sont ajoutés sur un plateau, même si on sait qu’ils ne seront pas consommés et qu’ils partiront sur la poubelle… »

Avec le nouveau cadre adopté par les HUS, le repas « standard » peut être servi à 80 % des patients, diabétiques compris. Ce qui change la donne en cuisine. « On ne décline plus le menu standard en sans sel, sans oignons, sans gras etc… et on libère le savoir-faire des cuisiniers en les laissant libres des ingrédients composant une recette ». Résultat : burger et pizza faits maison, sauté de dinde au curry et riz basmati, lasagne bolognaise maison, curry de pois chiche au lait de coco ou encore dhal de lentille   s’affichent au menu.

Une recette sans surcoût

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Son credo : la restauration doit absolument faire en sorte que le patient mange pour guérir. « Pourquoi choisir un ingrédient qui ne sera pas mangé par un grand nombre de malades capable de se nourrir normalement ? C’est comme si vous invitiez des amis à la maison et que vous leur proposiez une salade alors que vous savez qu’ils n’aiment pas cela… ».  C’est pourquoi il cherche à réduire la viande et le poisson, appréciés diversement en fonction des patients, quitte à trouver d’autres sources de protéine. « Le filet de poisson coûte cher et il n’est pas consommé. Si je reste quatre jours à l’hôpital et que je n’en mange pas, est-ce grave ? »

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La bonne chère ne rime pas forcément avec cher. « Nous avons réussi à améliorer notre restauration sans parler argent. Au démarrage du projet, j’ai dit à mes équipes que je voulais qu’on imagine des menus appétissants et qu’on ferait l’étude financière ensuite. » En fait, Laurent Trasrieux pressent que la nouvelle façon de faire n’engendrera pas de surcoûts. La plupart des produits sont déjà utilisés. Et certaines hausses occasionnées par le choix de denrées de meilleure qualité sont compensées par la baisse du poids des aliments achetés, à l’image du filet de poulet. « Nous avons même économisé 90 000 euros. Et dans ce total, je ne comptabilise pas la baisse du nombre de barquettes utilisées grâce au système du plat unique ».

Test d’un îlot prototype

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La nouvelle philosophie a complètement changé l’image du service restauration, assure Laurent Trasrieux. Néanmoins, le professionnel, jamais rassasié, a encore du pain sur la planche. Notamment avec le projet de retour à l’assiette qu’il veut coupler avec une  amélioration des conditions de travail. L’actuel circuit de six agents à la chaîne déposant chacun un élément sur le plateau pourrait être remplacé par un binôme évoluant dans un îlot, mieux conçu, notamment en ce qui concerne le froid ambiant. « Nous allons tester un prototype au début 2025 », promet-il.

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