L’occultée question de l’eau à l’hôpital

Dérèglement climatique oblige, le bilan carbone fait l’objet de toutes les attentions. Passée au second plan, la question de l’eau est pourtant aussi cruciale. Notamment à l’hôpital qui en consomme énormément directement, mais aussi indirectement via ses achats. C’est pourquoi Olivier Toma, dirigeant de l’agence Primum non nocere, plaide en faveur de la prise en compte de l’empreinte hydrique. Laquelle pourrait, à l’instar du CO2, devenir une clef pour choisir ses produits et équipements dans les années à venir. Afin de préserver une ressource indispensable à la vie.

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612 litres d’eau en moyenne par journée d’hospitalisation dans les hôpitaux, 332 dans les EHPAD. Voilà les chiffres fournis par l’agence Primum non nocere, à partir d’un observatoire englobant 300 établissements de santé. De quoi donner raison au célèbre « Ah qu’il est laid le débit de l’eau » de Charles Trénet. Ces résultats, similaires aux fourchettes calculées par l’ADEME, démontrent que l’hôpital est « hydrovore ». Pour autant, il n’en a pas toujours conscience, a prévenu Olivier Toma, dirigeant de l’agence précitée, aux dernières journées achat logistique de Montrouge.

Les soins et thérapies procurés aux patients expliquent en partie cette importante consommation. Toujours selon Primum non nocere, une prise de sang nécessite 7 litres d’eau, une injection intravitréenne d’anticorps (anti VEGF) 30 litres, un examen cytobactériologique des urines (ECBU) de 50 à 80 litres. Toutefois, le système de santé écluse parallèlement beaucoup d’eau de manière indirecte. En achetant du matériel et des produits très gourmands de ce liquide vital pour l’humanité.

Se méfier de l’eau qui dort

Le consultant a illustré son propos avec des exemples dévastateurs. Il faudrait ainsi 17 litres d’eau pour fabriquer un biberon jetable d’une contenance de 90 ml qu’utilisent quotidiennement les maternités, 32 litres pour un simple ciseau de cordon ombilical à usage unique, 1450 litres pour un pack de ligamentoplastie. La quantité d’eau nécessaire pour concevoir une tonne de médicaments atteindrait cinq milliards de litres…

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Autre sujet d’inquiétude, la contamination de l’eau. Les structures de santé emploient beaucoup de produits chimiques et prescrivent énormément de médicaments. Résultat, leurs effluents contribuent à polluer rivières et nappes phréatiques. Paru en mars 2019, le rapport « Médicaments et environnement » de l’Académie nationale de Pharmacie note que des traces de résidus de médicaments sont trouvées ponctuellement dans des eaux destinées à la consommation humaine, y compris celles en bouteille. Les molécules les plus fréquemment détectées sont la carbamazépine, l’époxycarbamazépine, l’oxazépam et l’hydroxyibuprofène.

Cartographier sa consommation, ça coule de source

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Dépassant le simple constat, Olivier Toma a incité les hôpitaux à agir. Car il existe des solutions. Déjà cartographier sa consommation d’eau, en installant des capteurs. Moderniser les infrastructures souvent vieillissantes. « On considère aujourd’hui qu’il y a un tiers d’eau gaspillé à cause de cela », a indiqué le consultant. Lutter contre le gaspillage et recycler quand cela est possible, par exemple en récupérant l’eau de pluie. Des actions bénéfiques déjà soulignées par l’ANAP qui chiffre les gains annuels :  20 m3 grâce à la réparation d’un robinet qui fuit, 40 % d’eau économisés avec un récupérateur d’eau pluviale.

Travailler la qualité de l’eau rejetée n’est pas impossible. L’Université de Nîmes a mis au point une technique pour mesurer l’impact environnemental des médicaments rejetés par un établissement de santé (lire notre article du 6 septembre 2021 ). « Quantité et réutilisation sont intimement liées », a martelé le consultant. Comme le CH de Cannes, (lire notre article du 18 septembre 2023), les pharmaciens peuvent recourir à l’indice PBT,  qui estime la persistance, la bioaccumulation et la toxicité d’une molécule dans les milieux aquatiques. Ce n’est sans doute pas la panacée, mais c’est déjà un début.

Les acheteurs doivent se jeter à l’eau

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« La consommation d’eau d’un autoclave peut varier entre 800 et 3000 litres par cycle », a pointé le dirigeant de Primum non nocere. Les acheteurs ont donc un rôle capital à jouer en intégrant dans leur matrice de choix  la quantité d’eau nécessaire lors de l’utilisation d’un équipement. Mais aussi  en commençant à examiner le volume d’eau englouti pour sa fabrication.  Ils peuvent également agir en privilégiant, pour les marchés de services, des prestataires aux processus moins voraces en molécules H2O, du nettoyage des locaux à la restauration. Car des différences existent.

« La confection d’un plateau-repas hospitalier nécessite entre 6 et 12 litres d’eau (cuisine et plonge) », a rappelé le consultant. Même le choix des aliments importe. Certains sont plus assoiffés que d’autres, à l’image des tomates.  Afin d’aider les établissements à ne pas se noyer, Primum non nocere est en train de plancher sur un logiciel capable de calculer l’empreinte hydrique d’une organisation. Il devrait être disponible au printemps 2024, a promis Olivier Toma.

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