DM : l’identification unique rencontre des problèmes pluriels

Portée par la réglementation européenne de 2017, l’identification unique des dispositifs médicaux est censée simplifier la traçabilité de ces derniers, et notamment celles des dispositifs médicaux implantables au suivi déjà imposé depuis plus de quinze ans. Mais sur le terrain, la facilité promise ne s’avère pas forcément si…identifiable !

©GS1

Depuis 2006, la traçabilité des dispositifs médicaux implantables (DMI) est obligatoire, exigence qui reposait jusqu’alors sur un suivi papier assuré par les pharmacies à usage intérieur (PUI), Mais « en cas de besoin, remonter la chaîne des acteurs pouvait se révéler très chronophage, voire inefficace » reconnaît Mohammed Tiah, pharmacien hospitalier au CH de Jossigny (7 000 implants en 2022) et responsable de l’unité des DM stériles pour le Grand Hôpital de l’Est Francilien (GHEF).

En instaurant l’identification unique de tous les dispositifs médicaux (IUD ou UDI), le Règlement (UE) 2017/745 en a donc fini avec ce flou : à chaque article son « empreinte » qu’il suffit désormais aux établissements d’enregistrer et conserver pour disposer ainsi, aisément, des références du fabricant, numéros de série et lot, date de péremption, informations de conditionnement, etc.

Une sécurisation incontestable de la prise en charge, dont les atouts organisationnels font par ailleurs rêver : « optimisation des process de commande, d’achat et de facturation, amélioration de la gestion des stocks et même suivi plus précis de la fin de vie », cite Laurence Azoulay, cheffe de marché senior Santé et Cosmétiques chez GS1 France. Mais encore faut-il pour cela pouvoir lire le code en question et le partager entre services…

Des logiciels à la traîne

Pour transformer les bâtons du code-barres en données utiles, l’éditeur doit en effet avoir préalablement appris à le décrypter et disposer donc des IUD dans sa base de données. Or, premier écueil : « les logiciels actuels datent encore d’une époque où la réglementation IUD n’avait pas été anticipée », déplore Emmanuelle Cauchetier, pharmacienne, responsable des DMI au CH Victor Dupouy d’Argenteuil (800 lits – GHT Sud Val-d’Oise – Nord Hauts-de-Seine). Résultat : « ils ne lisent pas et/ou ne ventilent pas les champs (références, fournisseurs, date péremption…) », pointe-t-elle.

Mohammed Tiah

Certes, tous ne sont pas égaux devant la difficulté. Doté de solides compétences informatiques, Mohammed Tiah a ainsi su la dépasser. « Afin d’éviter les erreurs possiblement générées par la ressaisie manuelle des informations lors de notre informatisation, j’ai, dès 2012, intégré moi-même, dans mon logiciel métier, les code-barres des produits (lot, références…) pour les spécialités de cardiologie interventionnelle et de rythmologie dont la majorité répondaient à la norme GS1 ou HIBC. Cela a permis de sécuriser la traçabilité de ces DMI et les données patients », rapporte-t-il. Appuyé par un financement de l’ARS (appel à projet 2022), le système est en passe d’être déployé sur l’ensemble du GHEF pour un même suivi tout au long de la supply chain.

80 % des implants non lus

de gauche à droite : Emmanuelle Cauchetier et Laurence Azoulay ©LD

Mais à Argenteuil où la PUI gère notamment les distribution et traçabilité de quelque 8 000 DMI/an, le tableau est autre : « face aux autres enjeux de l’établissement, ces dispositifs ne pèsent pas suffisamment pour imposer l’achat de nouveaux logiciels ou créer en interne les modules à implémenter », explique Emmanuelle Cauchetier. Elle poursuit : « d’où un fonctionnement en double circuit, l’un effectivement automatisé grâce à l’IUD pour le logiciel métier cardio qui sait – le bonheur ! – relier ces codes-barres à la fiche produit, au stock, aux commandes ou à la facturation ; et l’autre, archaïque, qui consiste toujours, pour 80 % de nos implants (orthopédie, bloc…), à décoller et recoller des étiquettes sur les fiches PUI, la carte implant et le dossier patient. »

Un déficit de sécurité autant qu’une perte de temps (estimée à 1H ETP) et d’efficacité sur l’ensemble de la chaîne, sans compter l’entorse réglementaire à l’arrêté du 8 septembre 2021 sur la qualité du circuit des DMI qui, depuis le 26 mai 2022, impose de procéder au plus vite à une traçabilité informatisée avec enregistrement des IUD.

Créer son « IUD maison » ?

©GS1

Avec trois acteurs autorisés à émettre les codes IUD, les établissements de santé, douchettes à la main, affrontent par ailleurs un autre problème : « des structures d’encodage totalement différentes selon que les industriels aient opté pour un standard GS1, HIBCC ou ICCBBA, et par conséquent indéchiffrables par un seul et même lecteur », résume Mohammed Tiah. La question se pose de manière aiguë pour certaines spécialités, comme l’orthopédie ou l’ophtalmologie, dont les DMI relèvent de nombreuses marques internationales.

Et, en attendant que le lobbying continu des professionnels, groupés derrière GS1, débouche donc sur une harmonisation planétaire de ces constructions informatiques, les solutions ne sont pas légion : soit doter les services d’une douchette par système, ce qui se révèle financièrement peu réaliste, soit faire d’un type d’IUD un critère de marché.

Avec toutefois une troisième possibilité : « adopter sa propre « identification maison » corrélée aux articles, technique plus lourde mais qui a l’avantage de résoudre aussi la question des lots communs, tels les chambres implantables, en permettant de les dissocier, et aussi de mieux localiser le produit en cas de services poseurs multiples », développe Mohammed Tiah. Pour exemple, GS1 propose un préfixe selon son modèle via une cotisation annuelle fixée à 500 euros pour les établissements de moins de 800 lits, 900 euros au-dessus. Une manière de compléter l’existant et de reprendre la main en attendant les améliorations de demain.

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *