Le manger main à portée de main

Dans le cadre de la modernisation de sa cuisine centrale, Stéphane Gadeyne, directeur des ressources économiques et logistiques du GH Sélestat Obernai (GHSO) projette, d’ici 2026, de créer une unité de production de « manger main » en liaison surgelée, capable d’approvisionner son établissement mais aussi d’autres structures. Un bon moyen de lutter contre la dénutrition des personnes âgées en Alsace et le Grand Est.  Le concept devrait se vendre comme des petits pains…

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Véritable fléau, la dénutrition concerne 50 % des personnes âgées hospitalisées, 45 % en EHPAD, selon le Collectif de lutte contre la dénutrition et le Centre de ressources et d’informations nutritionnelles. Avec d’innombrables conséquences : fonte de la masse musculaire, baisse des fonctions immunitaires, perte d’autonomie. Elle frappe aussi 40 % des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Les solutions sont connues : refaire du repas un moment plus convivial avec un décor approprié, enrichir les aliments, donner plus de saveurs aux menus.

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Même si cela n’est pas toujours bien perçu socialement, permettre aux convives de se nourrir avec leurs doigts, en changeant radicalement la présentation et la texture des plats, est aussi un moyen de réactiver le plaisir des papilles. Plusieurs établissements ont déjà expérimenté ce « manger main », à l’image de l’EHPAD Richelieu (Indre-et-Loire), où les résidents ont retrouvé de l’appétit (lire notre article du 20 juillet 2022) ou à l’hôpital Rothschild AP-HP.

Difficile de changer la production pour peu de convives

Plus facile à dire qu’à faire car cuisiner « manger main », ce n’est pas forcément de la tarte. 80 établissements pour personnes âgées sur 2625 ont répondu à une enquête du Centre de ressources nutrition de Nouvelle-Aquitaine. Et sur cet échantillon, un tiers pratiquait la technique. « En France, il y a très peu d’établissements qui savent le faire. Soit les professionnels n’ont pas le temps, soit ils n’ont pas l’expérience, soit ils ne disposent pas du matériel », résume Stéphane Gadeyne. De plus, la solution concerne au final peu de convives. « Si on a 4 ou 5 bénéficiaires, c’est compliqué de modifier une production et de monopoliser un cuisinier pour si peu », enchaîne-t-il.

Le directeur des ressources économiques et logistiques du GHSO sait de quoi il parle. Du haut de ses trente ans d’expérience dans les métiers de bouche, reconnu au niveau international, il a tout fait, ou presque, cadre dans un groupe privé de restauration et de l’hôtellerie, « premier de maison » et directeur chez des traiteurs, responsable des services du confort hôtelier de plusieurs structures hospitalières et EHPAD, il a été à deux reprises dirigeant d’un cabinet conseil spécialisé et a participé au lancement ou à la reprise de brasseries et de restaurants.

La solution de la liaison surgelée

Stéphane Gadeyne

Son armoire à trophées regorge de récompenses : il a été, entre autres,  lauréat du championnat national de cuisine, pâtisserie, design et innovations pour les hôpitaux en 2016, lauréat du trophée national innovations pour la création d’un self-service pour les résidents en EHPAD et d’un chariot culinaire spécifique pour les animations, les soins palliatifs, les patients en fin de vie et enfants hospitalisés en 2018. L’année dernière, il a été élu ambassadeur monde par l’Association internationale des grands chefs pour promouvoir la restauration collective hospitalière.

Après avoir réfléchi, Stéphane Gadeyne imagine une solution. Pourquoi pas monter une petite unité de manger main, capable d’élaborer une carte diversifiée en liaison surgelée ? « C’est un sujet que j’ai beaucoup travaillé en Allemagne, où 70 à 80 % des établissements utilisent ce mode de production. » Le projet de modernisation de la cuisine centrale de Sélestat, inscrit dans le cadre du programme « Confort hôtelier 2023-2026 », tombe à pic. C’est l’opportunité d’y adjoindre ce laboratoire dédié.

Objectif : 360 convives par jour

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L’idée est naturellement de mutualiser. Au GHSO, entre 15 et 20 patients seraient éligibles au manger mains. Pour que la mayonnaise prenne, et que le projet soit viable, Stéphane Gadeyne table sur 360 convives par jour. Le directeur est confiant : il y a 6 000 personnes atteintes par des maladies neurodégénératives en institution en Alsace, chiffre-t-il.

Et l’unité pourrait approvisionner nombre d’établissements du Grand Est. La région compte 991 maisons de retraite, EHPAD publics ou privés. « Les pathologies n’ont pas de frontières », rappelle le professionnel. A quoi s’ajoutent tous les patients incapables de tenir des couverts pendant une période donnée, par exemple à cause d’un bras dans le plâtre.

Les multiples bénéfices de cet achat par la valeur

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Stéphane Gadeyne vante les multiples bénéfices de cet « achat par la valeur » dans le mémoire qu’il a consacré à la question, pour le diplôme d’établissement « Les 100 heures de l’achat », décerné par l’EHESP et organisé par le Resah : amélioration de l’alimentation, réduction des troubles, aide au repas moins nécessaire, amélioration des relations soignants/patients, réduction du gâchis, économies liées à la fin des produits industriels enrichis…

La démarche est aussi un bon moyen de redorer le blason de la cuisine collective. Car le manger main suscite la créativité. « Les cuisiniers sont plus que ravis. Ils commencent à imaginer de nouveaux produits qu’on teste en interne. Ils ont fait des mousses au chocolat extraordinaires en manger main, avec de l’agar agar… ». De quoi se régaler sans forcément avoir un joli coup de fourchette.

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