Les achats, digue contre les perturbateurs endocriniens

Présents dans de nombreux objets du quotidien et équipements, pesticides, plastifiants et retardateurs de flammes ont des effets néfastes sur la santé publique. La commande publique a un rôle important à jouer pour éradiquer ces poisons invisibles. Très engagée sur le sujet, la ville de Paris a inséré de nombreuses exigences dans les cahiers des charges de plusieurs familles d’achat.

© Epictura

Près 800 substances s’avèrent ou sont suspectées d’être perturbatrices pour nos hormones. On les trouve un peu partout, dans le mobilier, les textiles, les contenants en plastiques, les produits d’entretien… Elles multiplient, entre autres, le risque d’altération de la qualité du sperme, le risque de cancers du sein et de la prostate, de maladies thyroïdiennes, d’endométriose, et chez les enfants, de lymphomes et de leucémies, mais aussi de troubles cognitifs et de comportement… Elles sont aussi probablement facteur d’obésité ou de diabète de type 2, comme le signale l’étude PESP’P, publiée en octobre dernier par Santé Publique France. Et elles ont des effets transgénérationnels.

Un coût élevé pour la santé et la société

En 2019,  l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considérait que 154 000 décès en Europe étaient attribuables à la pollution de l’air intérieur. Sorti fin janvier, le livre blanc de la Fondation de l’Académie de Médecine, présenté à l’Assemblée nationale, rappelle que cette exposition à ces poisons invisibles représente un coût élevé pour la santé et la société. Il est estimé à 157 milliards par an, rien que pour l’Union européenne.

« Nous ne sommes pas condamnés à avoir des phtalates dans l’organisme », a insisté André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES), lors d’un récent webinaire organisé par le GIP Maximilien. « On peut agir et on peut avoir des résultats », a insisté cet ancien chercheur à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS).

Sensibiliser les entreprises candidates

L’achat public peut naturellement apporter son écot. Première signataire de la Charte « villes et territoires sans perturbateurs endocriniens », la ville de Paris trace le sillon.  Adopté en décembre 2021, le SPASER de la capitale a inscrit à son programme la question de la protection face aux risques sanitaires, avec l’ambition de « supprimer les perturbateurs endocriniens et nanomatériaux sur l’ensemble des marchés de fournitures et de prestations de services. »

La collectivité rappelle déjà aux soumissionnaires l’arsenal réglementaire existant (Reach, Pop…) et leur indique la liste des perturbateurs de l’Agence européenne des produits chimiques (endocrine disruptor list/ECHA), à laquelle elle ajoute les bisphénols F1 et AF2, plusieurs phtalates, ainsi que les perchlorates 3. « C’est toujours bien de rappeler la réglementation dans les consultations pour pouvoir sensibiliser les candidats potentiels au fait que nous sommes assez vigilants sur ce point », a commenté Alice Piednoir, experte en achat responsable à la ville de Paris, dans le même webinaire.

Les avantages des écolabels

Dans plusieurs familles d’achat, la collectivité fixe ses exigences. Côté textile/vêtements pros, elle demande un standard Oeko-Text ou équivalent, du coton bio et équitable. Au chapitre petite enfance, lorsqu’il s’agit d’acquérir des changes pour bébés, Paris réclame un écolabel (Nordic Swan, Ecolabel européen, label GOTS ou équivalent). Les écolabels ont pour eux plusieurs avantages. Plusieurs réglementations (comme Reach) sont présentes dans la démarche de certification. Leur obtention est facilement à contrôler. « C’est un levier accessible aux acheteurs non-initiés », a argué Alice Piednoir.

La mairie enjoint aux fournisseurs des changes de se conformer, tout au long du marché, à toutes les évolutions réglementaires et aux recommandations de l’ANSES et de la DGCCRF. Et la composition des produits doit présenter des résultats inférieurs de 10 % aux seuils sanitaires préconisés par l’ANSES. Paris impose 73 % de bio dans les repas servis aux crèches. Et demande aux fournisseurs des propositions pour éradiquer les perturbateurs endocriniens.

Les marchés de gestion externalisée des crèches concernés

Les marchés de gestion externalisée des crèches sont également dans la boucle. « On demande aux titulaires d’avoir un niveau aussi élevé que les crèches en régie », a synthétisé Alice Piednoir. Ils doivent par exemple transmettre obligatoirement toutes les infos sur la présence de substances chimiques préoccupantes soumises à autorisation, lorsque leur concentration est supérieure à 0,1 % de la masse du meuble ou du produit.

Composées à + de 50 % en coton bio ou issus de matières naturelles renouvelables, les protections périodiques lavables achetées par la ville sont exemptes de de toute substance chimique ou toxique. Elles ne doivent pas être blanchies au chlore et elles ne doivent pas comporter de parfum ou de colorant. Les emballages des coupes menstruelles doivent être sans plastique d’origine pétrochimique.

La question du contrôle

Souvent incriminé à cause des colles employées, le mobilier n’a pas été oublié. Les panneaux de bois composite dont les agents liants contiennent du phénol ne peuvent afficher une concentration de phénol supérieure à 14µg/m3 dans la salle d’essai. Tous les panneaux dérivés du bois doivent être classés E1 (mesure de dégagement de formaldéhyde). Les peintures, la finition et les vernis doivent être à base d’eau.

Ce catalogue de conditions a été vérifié pendant la phase de sourcing pour ne pas être déconnecté avec l’offre sur le marché. « Ensuite, on essaie de doser le niveau d’ambition. Cela nous semble important de parler du sujet pendant les rendez-vous et de communiquer sur les engagements de la ville. »

Reste à vérifier que les demandes sont suivies d’effets. « La ville a la chance d’avoir une direction de la santé publique et de l’environnement qui s’équipe pour pouvoir, à terme, contrôler les émissions », a indiqué Alice Piednoir, avant d’admettre qu’il demeure « compliqué de reproduire des conditions transposables en laboratoire et opposables quand elles ne sont pas concluantes. » En tout cas, la collectivité assume les éventuels coûts liés à ces exigences, même si le delta est souvent difficile à mesurer.

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *