Médicaments : une nouvelle feuille de route mais encore des doutes

Rythmé par les ruptures ou tensions d’approvisionnement dont le nombre a doublé en deux ans, le pharmacien hospitalier tient désormais du pompier cerné par de multiples départs d’incendie tournants. Destinée à « garantir la disponibilité des médicaments et assurer une nouvelle souveraineté industrielle », la feuille de route 2024-2027 publiée fin février constituera-t-elle le pare-feu espéré ?

© Epictura

En 2019, la première feuille de route portait de premières contraintes de stock de sécurité et l’obligation, pour les laboratoires, de déclarer auprès de l’ANSM les cas de ruptures, de tension ou de cessation d’activité. Las… Quatre ans plus tard, les stocks ont montré leurs limites, « le plus souvent inaccessibles rapidement et incapables de freiner la multiplication des alertes », pointe Élise Remy, pharmacien hospitalier, responsable de service au CHI d’Elbeuf-Louviers-Val de Reuil, par ailleurs secrétaire générale adjointe du principal syndicat de pharmaciens hospitaliers publics, le Synprefh.

À la présidence de l’Association nationale des opérateurs d’achats régionaux (ANOpAR) et pharmacien au Groupement régional de commandes de Nouvelle Aquitaine, Vincent Hurot abonde : « selon les données officielles de l’ANSM, les alertes sont carrément passées de 2200 à 4925 entre 2020 et 2023. » Résultat : « occupant à mi-temps un pharmacien ainsi qu’un préparateur, la gestion de la pénurie est devenue la norme. Il faut donc des mesures plus efficaces », réclame Kamel Olivier Sellal, pharmacien au CHU de Nantes.

La plateforme unique toujours en suspens

Vincent Hurot © DR

Première nécessité : « disposer d’une information fiable et pertinente, qui autorise une projection dans le temps et l’action », pose Vincent Hurot, pointant les discordances actuelles entre les éléments remontés à l’ANSM et ceux communiqués aux établissements. Inscrite à la nouvelle feuille de route gouvernementale, l’optimisation de la liste des Médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) pourrait peut-être – pour partie – répondre à cette attente, tout comme la diversification des canaux de remontées d’alertes, d’autant qu’une plateforme européenne de surveillance des pénuries s’inscrit aussi aux projets.

« Mais à quand une plateforme interconnectée entre les différents acteurs du secteur et centralisant enfin une information exhaustive et transparente (raisons des tensions ou ruptures, délais de retour à la normale envisagés…) sur laquelle il soit possible d’anticiper vraiment plutôt que de réagir », questionne Kamel Olivier Sellal.

La dispensation d’alternatives facilitée

Elise Rémy © DR

Car anticiper, c’est pouvoir à l’avance tabler sur un plan B, voire C, en accord avec les soignants. À ce titre, « le pilotage par l’Établissement public de l’AP-HP d’un réseau d’acteurs privés et publics – PUI au premier chef – en vue de la sous-traitance de certains contrats pharmaceutiques est une bonne chose… Mais encore faut-il que les matières premières soient disponibles », relève Élise Remy. De fait, ce qui retient plutôt l’attention de la professionnelle est donc « l’élaboration utile, avec les sociétés savantes, d’une liste de concordance des médicaments ouvrant aux dispensateurs des alternatives validées par les soignants. »

Saluant pareillement la mesure, Kamel Olivier Sellal applaudit même « le projet de logiciel qui, demain, intégrera les informations de disponibilités, voire les substitutions possibles, aux logiciels d’aide à la prescription… Il nuance toutefois : « En espérant que ce ne soit, ni un miroir aux alouettes, ni une usine à gaz ! »

La sécurisation par les achats

Kamel Olivier Sellal © DR

Anticiper relève aussi des procédures d’achat et de logistique. La nouvelle feuille de route invite ainsi à mieux se prémunir, par exemple par l’utilisation de critères pertinents (lieu de fabrication, antécédents de rupture, conditionnement, délais de livraisons…), et à repérer les signaux faibles. « Mais avec 40 000 références en stock, impossible d’opérer ce suivi en l’absence de ressource dédiée, d’où l’intérêt des centrales d’achat », objecte Kamel Olivier Sellal.

La mesure interroge aussi Élise Remy : « au nom de la performance, la massification a contribué à une concentration des acheteurs comme des fournisseurs, ce qui a, de toute façon, réduit le panel de soumissionnaires. » En Nouvelle-Aquitaine, Vincent Hurot appuie : « sur les 1012 lots de notre appel d’offres 2024, près d’un sur trois n’a fait l’objet que d’une seule offre et un quart en a suscité seulement deux. Difficile de répartir le risque dans ces conditions. » Et le président de l’ANOpAR de lâcher : « quelles que soient les mesures envisagées et la qualité de la relation nouée avec nos fournisseurs, la seule vraie question reste finalement celle du prix :  auquel suis-je assuré d’être livré ? ! »

Parler du prix à tout prix ?

Soulignant ces familles onéreuses ignorées des ruptures (thérapies géniques, immunothérapie…) ou cette molécule essentielle redevenue disponible après une augmentation de 2000 %, les trois professionnels pointent donc la grande absente de la feuille de route 2024/2027 : la fixation des prix sur le marché français. Certes, des mesures de stabilisation ou de revalorisation y sont bien évoquées pour certains cas ; « mais face au nombre croissant de classes pharmacologiques concernées, elles seront forcément insuffisantes et la liste des produits vulnérables souvent obsolète », regrette Élise Remy.

« Plutôt que des amendes risquant de faire fuir ou le durcissement annoncé du cadre européen pour ce qui concerne les obligations imparties aux industriels de médicaments essentiels, il faut d’abord rendre la France plus attractive, par exemple par un système de bonus-malus », suggère donc Vincent Hurot. En clair, « Passer d’un volant de mesures qui, bien que reprenant habilement les remontées du terrain, ne sera jamais qu’une feuille anti-déroute, à une feuille de route véritable, initiatrice de nouvelles marges de manœuvre », conclut-il.

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