On le sait : dotés d’une chaîne d’approvisionnement particulièrement écophage qui repose sur une production majoritairement extra-européenne et des intermédiaires multiples, les médicaments pèsent pour un tiers dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la santé.
Un impact auquel les hôpitaux prennent évidemment part avec 300 millions de boîtes ou solutions achetées chaque année et une empreinte que le Shift Projet a récemment évaluée entre 0,5 et 1,5 million de tonnes équivalent carbone (lire notre article du 17 janvier 2025). Revisiter toutes ces formes et molécules pour n’en retenir que les plus vertes serait donc déjà un bon pas vers la réduction des émissions du système de santé. Mais comment faire ?
Un ordre de grandeur

Frédéric Bounoure ©DR
Pharmacien au CH d’Yvetot, Frédéric Bounoure s’est appuyé sur la base de données mise en ligne au début de l’année 2024 par la société Ecovamed et concernant l’impact CO2 d’un peu moins de 12.500 produits oraux de la pharmacopée française (lire notre article du 18 décembre 2023), travail qui sera d’ailleurs poursuivi cette année sur les formes injectables…
Et c’est donc armé de cette grille de lecture, « un outil suffisant pour avoir déjà un bon ordre de grandeur et opérer des choix », assure-t-il, qu’il s’est penché sur « l’armoire à pharmacie » des hôpitaux, aux côtés de l’OMEDIT Normandie (Observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques). Objectif : baliser le parcours des professionnels vers des prises en charge médicamenteuses à l’empreinte moins lourde.
Privilégier les formes sèches

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Premier enseignement tiré de l’état de l’art : comprimés, gélules et sachets impactent 4 fois moins qu’une solution buvable et jusqu’à 12 fois moins qu’en forme parentérale. Ainsi 1 gramme de paracétamol génère 38 g de CO2 eq contre 310 à 628 g en intraveineuse. Idem pour la levofloxacine dont un comprimé de 500 mg équivaut à 151 g de CO2 eq contre 1,9 kg en injectable.
De même, mieux vaut, si possible, oublier les inhalateurs-doseurs (MDI) – dont les propulseurs à base d’hydrofluocarbures s’avèrent plus nocifs à l’environnement que le dioxyde de carbone – au profit des inhalateurs à poudre sèche ou brumisat. Si la substitution s’avère imperceptible pour de nombreux patients, la différence pour l’environnement sera, elle, énorme avec un bilan carbone jusqu’à 20 fois inférieur.
Le moins de doses possibles
À quantité de principe actif égale, moins de substance, de comprimés, de gélules ou encore de sachets, c’est évidemment moins de ressources, d’emballages et de transports sollicités… Privilégier les schémas posologiques reposant sur un minimum de doses à administrer s’affirme donc comme une véritable « voie verte » pour la prescription… Et plusieurs chemins y mènent !

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Première piste : favoriser, les molécules les plus actives qui permettront donc, pour un même effet, des doses journalières plus faibles. La « stratégie » revient à minorer de 30 % en moyenne les émissions de gaz à effet de serre liées à cette prescription. Ainsi, un comprimé de candesartan 8 mg réduira de 1,9 les émissions de GES par rapport à un comprimé d’iribesartan 150 mg.
Au nom de l’empreinte carbone sont donc de même à préférer le ramipril (inhibiteurs de l’enzyme de conversion) l’amlodipine (inhibiteurs calciques), le bisoprolol (bêtabloquants), l’omeprazole (inhibiteurs de la pompe à protons), la desloratadine (anti-histaminiques), l’escitalopram (antidépresseurs) et l’alprazolam (benzodiazépines).
Opter pour les spécialités combinées
Deuxième possibilité : pour les mêmes raisons qu’évoquées ci-dessus, les spécialités associant plusieurs substances actives sont préférables à la prescription de chacune individuellement. D’où la mise en avant de références telles que le périndopril, l’amlodipine ou l’ézétimibe ou encore la simvastatine qui contribuent à une réduction moyenne de près de 30 % des gaz à effet de serre.
Enfin, troisième moyen d’alléger notablement l’impact environnemental des médicaments : privilégier les formes à libération prolongée et les dosages forts (1 comprimé de paracétamol 1g plutôt que 2 comprimés à 500 mg), quitte à fractionner les prises (1/2 comprimé d’énalapril 20 mg plutôt que 2 de 5mg pour donner 10 mg). Le bénéfice est, là encore, majeur avec une réduction moyenne de 37 % des GES.
À croiser avec la méthodologie officielle
Par la suppression de certaines molécules et/ou le remplacement d’autres, la décarbonation des achats de médicaments se révèle donc tout à fait accessible à l’acheteur, avec des gains environnementaux significatifs à iso-coût… « Des leviers immédiatement opérationnels, qui s’avèrent de surcroît parfaitement complémentaires de la méthodologie officielle récemment publiée par la Direction générale des entreprises avec la DGOS (lire notre article du 10 février 2025) », affirme Frédéric Bounoure.
Les précisions suivent : « Une fois des marchés plus verts allotis sur les principes actifs les plus vertueux et non plus sur la classe thérapeutique, la nouvelle matrice permettra en effet de classer les fournisseurs en fonction du bilan de leur produit respectif », pose-t-il. Ne reste donc plus qu’à convaincre les prescripteurs du bien-fondé de ces éco-substitutions… À Yvetot, tous les intéressés ont été formés au sujet par Frédéric Bounoure, lequel s’attaque maintenant, toujours avec l’OMEDIT Normandie, à une liste de prescriptions préférentielles incluant l’écotoxicité.