Achats d’occasion : la seconde main sans se prendre la tête

Au cœur de l’économie circulaire et d’une loi AGEC qui pourrait prochainement s’appliquer aux hôpitaux, le réemploi d’équipements médicaux/biomédicaux pénètre progressivement ces derniers, de plus en plus nombreux à sauter le pas pour mieux lier économie et écologie… Un saut qui a ses variantes en fonction du terrain et doit être préparé pour ne pas tomber de haut. Premier opus de notre série sur le sujet : la sécurité du fournisseur.

© Epictura

Avec près de 30 milliards d’€ annuels représentant 50 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé, il est temps « d’encourager une approche plus responsable dans le processus d’achat public ». Le 21 mars dernier, l’invitation d’Emeline Flinois, directrice du pôle développement durable de l’Anap (promue DGA depuis) ouvrait la webconférence sur l’achat d’occasion proposée par ladite agence.

Car la seconde main est bien une solution à portée de vie pour de nombreux produits du secteur sanitaire et, inversement, la seconde vie une solution à portée de main pour de nombreux hôpitaux… Mais encore faut-il accepter de revisiter ses pratiques. Et ses a priori ! Aussi, et pour franchir le Rubicon sans crainte de trop s’y mouiller, mieux vaut donc oser sa « première fois » auprès de ses fournisseurs habituels.

Premier achat du genre pour le bioméd

« Jamais jusqu’alors un équipement biomédical n’avait été acheté d’occasion au CHU et cette option ne faisait même pas l’objet d’une suggestion de la part des acheteurs », confirme de fait Anne Rullier médecin anatomo-cyto-pathologiste au CHU de Bordeaux.

automate de coloration © CHU Bordeaux

Pourtant, lorsqu’à l’automne 2022, deux des automates de son laboratoire, âgés de quinze ans, montrent des signes de faiblesses irréparables, il faut agir : « Alors qu’ils sont absolument indispensables à l’activité, l’imprimante à cassettes pour échantillons humains et l’automate de coloration enchaînaient en effet les pannes récurrentes, aussi préjudiciables à la rapidité et à la qualité du diagnostic qu’à la qualité de vie au travail des techniciens ».

Pour autant, leur remplacement conjoint (respectivement autour de 30 000 et 100 000 euros) excédait largement l’enveloppe concédée par un plan d’équipement trop souvent reporté. « Quant à la location, seule alternative au remplacement par du neuf envisagée par le pôle et le biomédical, elle imposait un délai de mise en concurrence incompatible avec l’urgence de la situation », rapporte la professionnelle.

Une solution frugale fonctionnelle et rassurante

Première unité du CHU labellisée Unité durable, le laboratoire crée alors la surprise en proposant lui-même de sortir de l’impasse grâce à l’achat d’équipements d’occasion auprès de sociétés spécialisées ou de matériel reconditionné par les fournisseurs : « en effet, aussi essentiels soient-ils, ces deux types d’automates n’ont nul besoin d’être de toute dernière technologie ; il leur suffit d’être fonctionnels, fiables et immédiatement disponibles pour satisfaire le besoin », souligne Anne Rullier.

imprimante à cassettes pour échantillons humains © CHU Bordeaux

Or, fournis par les mêmes revendeurs que le neuf mais dans le cadre d’un marché de plus faible montant (souvent moitié prix), l’opération pouvait ainsi se conclure rapidement, sans publicité ni mise en concurrence préalables. De plus, les équipements réemployés après démonstrations ou présentation lors d’événements…) pouvaient – une fois révisés – bénéficier d’une garantie constructeur solide, assortie d’un service après-vente adéquat.

« Techniquement satisfaisante, économiquement intéressante et écologiquement pertinente, la solution frugale devenait donc également rassurante pour des équipes qui, de surcroît, n’ont pas eu à se familiariser avec de nouvelles machines », explique-t-elle, espérant désormais faire école dans d’autres services du GHT.

Capter les offres d’opportunité

Fort d’une bourse au mobilier interne instaurée depuis plus de cinq ans, le CHU de Rouen se tourne aussi de plus en plus régulièrement sur l’achat d’occasion « sécurisé », jusqu’à en faire un levier stratégique de la décarbonation de ses achats. « Le vrai déclic s’est produit dans le contexte de difficultés d’approvisionnement causées par la crise sanitaire récente », raconte la responsable des achats au CHU de Rouen Dominique Durand, également coordinatrice « achat » pour le GHT Rouen Cœur de Seine.

Un déclic au service duquel sera même mise une technique d’achat spécifique, le système d’acquisition dynamique (SAD), car « lancer un marché de véhicules d’occasion dans le cadre d’un appel d’offre classique est certes légal mais totalement paradoxal au regard des délais de ce dernier, peu conciliables avec une offre d’opportunité », pointe la professionnelle. Or, par un référencement ouvert sur une longue durée, le SAD réconcilie les deux impératifs.

Des SAD achat d’occasion

Dès 2021, un premier SAD dédié à l’achat d’une flotte de véhicules d’occasion est donc ouvert pour 4 ans, « permettant autant aux établissements du GHT d’exprimer leurs besoins aux constructeurs et concessionnaires présélectionnés qui peuvent ainsi soumissionner lorsqu’ils sont en mesure de le faire », détaille-t-elle. Depuis, une quinzaine de véhicules d’occasion ont déjà pu être achetés par ce biais au profit des établissements du GHT (minibus, utilitaires et véhicules légers) tandis que d’autres SAD étaient lancés dans la foulée, pour des équipements informatiques (tablettes ou switchs) de deuxième main…

Thermo-formeuse reconditionné © CHU Rouen

« En fait, chaque fois que le besoin n’exige pas l’innovation, que le produit a une durée de vie compatible avec le réemploi et que la sécurité est bien au rendez-vous », résume Dominique Durand. En 2023, une thermo-formeuse reconditionnée a ainsi été acquise auprès de son constructeur pour l’unité de production centrale de restauration (12 000 repas/jour).

Avec une performance durable qui se passe de commentaire : un gain de 40 % par rapport au prix d’achat neuf, soit 100 000 euros, et une empreinte carbone divisée par 6 (12 tonnes équivalent CO2). « L’achat d’occasion a désormais fait ses preuves et est valorisé au sein du CHU. Il ne reste plus qu’à trouver l’outil capable de le quantifier dans le bilan carbone », conclut Dominique Durand.

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