achat-logistique.info : Le métier d’ingénieur biomédical a désormais un demi-siècle d’existence. Quel peut être son futur ? Les 27e journées de l’AFIB à Bordeaux traiteront par exemple de la prévention des ruptures d’approvisionnement comme nouvelle terre de mission. À quelles évolutions faut-il s’attendre ?
Valérie Moreno : « Si l’on regarde quelques années en arrière, c’est une profession qui a déjà beaucoup évolué, notamment en termes de reconnaissance au sein des différents établissements de santé, que ce soit côté direction générale ou côté soignants. Elle est aussi portée par son sujet. Cela bouge sans cesse dans le domaine des technologies médicales. On se doit d’être à l’écoute de ces évolutions et nous devons nous adapter. C’est pour cela qu’on a souhaité parler d’agilité dans ce congrès parce qu’on l’est déjà, mais qu’on pourrait l’être davantage. Premier axe, l’éco-responsabilité va s’imposer à nous comme au reste de la société. C’est pourquoi on a lancé un groupe de travail RSE au sein de l’AFIB.
La deuxième grande évolution dont on parle depuis quelques années, c’est l’accompagnement, en termes de formation, des équipements de plus en plus connectés. Il faut donc qu’on évolue pour être capable d’abord de bien dialoguer avec nos DSI, d’être suffisamment aguerri pour répondre aux questions de sécurité numérique, et d’imposer nos vues aux fournisseurs. »
achat-logistique.info : Quid de la robotique désormais de plus en plus présente dans les blocs et les PUI ? Les ingénieurs biomédicaux sont-ils bien armés pour choisir les équipements ? Cela relève-t-il de leur compétence ?
Valérie Moreno : « Oui, c’est une technologie médicale comme une autre. Notre force est de bénéficier d’une formation dans différentes thématiques : optique, mécanique, électronique, et maintenant robotique. Les écoles préparent de plus en plus, et de mieux en mieux les jeunes ingénieurs à ces nouvelles technologies. La robotique chirurgicale est un sujet biomédical depuis sa naissance. Celle des pharmacies débute. Ce sont des sujets traités de façon variable en fonction des établissements, en lien avec les pharmaciens, les directions logistiques, etc. Mais pour lesquels les ingénieurs biomédicaux peuvent être impliqués, notamment pour la fabrication des chimiothérapies. »
achat-logistique.info : Achats de matériels, suivi de leur implantation, maintien en condition, planification des besoins d’équipements, veille technique et réglementaire, recherche de l’innovation… Votre profession a-t-elle les moyens de répondre à toutes les attentes ? Les équipes biomédicales sont-elles suffisamment étoffées dans les hôpitaux ?
Valérie Moreno : « En tant que présidente de l’AFIB, je peux vous dire que plus il y aura d’ingénieurs biomédicaux dans les établissements, plus on leur confiera des missions. C’est une population qui a crû ces dernières années. Maintenant, cela se tasse un petit peu. La profession a été très présente durant la crise Covid. Certains d’entre nous commencent à se dire fatigués. C’est pour cela qu’un atelier à Bordeaux traitera de l’épuisement au travail. C’est une vraie attente de nos collègues. »
achat-logistique.info : Les établissements de santé rencontrent-ils des soucis pour attirer et conserver les talents de l’ingénierie biomédicale, à l’image de ce qui se passe pour les soignants ? Les salaires proposés sont-ils suffisamment attractifs ?
Valérie Moreno : « Pour travailler à l’hôpital, il faut avoir le sens du service public. Et aimer avoir plusieurs cordes à son arc. Cette pluralité des missions fait la richesse du métier et son attractivité. S’agissant de la rémunération de début de carrière, après cinq ans d’études, nous ne sommes pas du tout compétitifs avec le privé. C’est clair et net. C’est pourquoi l’AFIB a mis en place des bourses d’études pour financer les stages de fin d’étude à l’hôpital. Et pour attirer les jeunes diplômés, nous voulons tisser des liens encore plus forts avec les écoles. En fait, la grande difficulté du biomédical en France aujourd’hui concerne plutôt les techniciens biomédicaux, avec une pénurie nationale. »
achat-logistique.info : Comment l’expliquez-vous ?
Valérie Moreno : « Il y a déjà un déficit de nombre de formations, contrairement aux ingénieurs. Il y a très peu d’écoles, avec des promotions réduites. Et on est très loin des rémunérations proposées par le secteur privé. »
achat-logistique.info : Les 27e journées de l’AFIB à Bordeaux aborderont aussi la question de la place de l’ingénierie biomédicale dans l’organigramme, en évoquant le sujet d’une direction commune avec le numérique, comme c’est le cas à Nancy. Quelle est, selon vous, l’organisation la plus pertinente ? Faut-il des directions de l’ingénierie biomédicale à l’image des CHU de Bordeaux, Strasbourg ou d’ Amiens ?
Valérie Moreno : « Nous militons très clairement pour ce dernier modèle. C’est important que l’on soit bien identifié dans l’organigramme. Parce que notre fonction le mérite. Et parce qu’elle est très tournée vers le terrain et reconnue par les personnels médicaux et paramédicaux. Mais nous travaillons aussi en faveur du décloisonnement des fonctions supports à l’hôpital. L’ingénierie biomédicale collabore avec les travaux pour l’installation des équipements structurants, avec l’hygiène hospitalière, avec les pharmacies qui se chargent parfois des consommables captifs des matériels que nous achetons, avec l’informatique pour connecter les matériels… »
achat-logistique.info : Les achats d’équipements constituent l’un des piliers du quotidien de l’ingénieur biomédical. Est-il suffisamment sensibilisé et formé aux nouvelles orientations durables de la commande publique, à l’image de la prise en compte du coût complet ?
Valérie Moreno : « Cela fait assez longtemps que les ingénieurs biomédicaux analysent les offres en coût complet, en prenant en compte la durée de vie de l’équipement, les consommables et réactifs associés, le prix de la maintenance… Après on ne va pas tous jusqu’à comparer les consommations électriques. Tout dépend de l’objet à acheter. C’est par exemple évident pour le matériel de stérilisation ».
achat-logistique.info : Pensez-vous possible de mettre des considérations environnementales dans 100 % des marchés passés par la profession, comme va l’exiger la loi Climat ?
Valérie Moreno : « Oui, il y a beaucoup de choses à faire sur la durée de vie du produit, sur sa durée de maintenabilité, sur le volume de déchets engendrés par l’utilisation de l’équipement, sur le volume d’emballage, les lieux de production… Concernant la fin de vie des machines, nous réutilisons beaucoup d’anciens matériels pour en faire des stocks de pièces détachées et en maintenir d’autres plus longtemps que prévu. C’est courant dans les services biomédicaux. Quand nous maintenons plus longtemps un pousse-seringue, on est gagnant-gagnant : le matériel a bien été utilisé jusqu’au bout et l’établissement n’a pas à réinvestir. Cela renforce vraiment la nécessité d’avoir des équipes de techniciens biomédicaux dans les établissements. »
achat-logistique.info : Les 27e journées traiteront également de la mise en place d’une démarche RSE biomédicale. Que peut initier l’ingénieur biomédical en la matière, quels autres leviers peut-il activer, et quels sont les freins à cette approche ?
Valérie Moreno : « Il va falloir être créatif, et on ne le sera pas tout seul. Il faut être accompagné des services techniques dans cette démarche. Il y a des choses à faire dans l’exploitation des plateaux techniques, comme la stérilisation ou la dialyse. On peut réfléchir au sujet du bloc opératoire pour que le bâtiment réduise les consommations énergétiques. Et en tant qu’acheteurs, il va vraiment falloir qu’on se groupe pour mettre la pression sur les fournisseurs. Il n’y a pas encore une évolution franche des matériels dans cette direction. On a vraiment un rôle de lobby à jouer. »
achat-logistique.info : Le cercle international de l’AFIB vous permet d’avoir un regard sur les méthodes de travail de vos homologues étrangers. De quelles pratiques les ingénieurs biomédicaux français peuvent-ils s’inspirer ?
Valérie Moreno : « Très actif, le cercle international a été créé il y a environ 4 ans. Il se rend régulièrement à des congrès d’associations amies étrangères, dernièrement en Italie et au Maroc, et prochainement au Québec. Cela permet toujours de relativiser lorsqu’on se compare. D’un pays européen à un autre, nous observons des approches très différentes, notamment en termes de gestion de la maintenance et de son degré de sous-traitance. La compréhension de ces décisions et de leurs conséquences est très enrichissante pour les pratiques françaises. Inversement, la position de conseil à l’achat que nous avons en France auprès des soignants, la manière dont on participe à la décision d’achat apparaît comme un point fort de notre métier. Et nos collègues européens sont très intéressés par notre fonctionnement de ce point de vue. »