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Valérie Moreno : « La RSE est une facette de plus à acquérir pour les ingénieurs biomédicaux au même titre que le numérique »

C’est Strasbourg qui accueillera les prochaines journées de l’Association française des ingénieurs biomédicaux (AFIB) du 9 au 11 octobre. Cette profession polymorphe, au périmètre très large (achats, maintenance, gestion des parcs, innovation…) doit maintenant s’atteler à la dimension développement durable, comme le rappelle Valérie Moreno, présidente de l’AFIB.

achat-logistique.info : Sujet ô combien d’actualité, la décarbonation fera l’objet d’une table-ronde aux 28èmes journées de l’AFIB. Présentée l’année dernière, une étude indiquait que 60 % des ingénieurs biomédicaux n’utilisaient pas de critères responsables lors de leurs achats et que 70 % ne prenaient pas de mesures pour limiter les conséquences sur l’environnement de l’exploitation des équipements. Comment inciter vos adhérents à changer de pratiques ? Sur quels chantiers travaille le groupe RSE de l’AFIB ?

Valérie Moreno : « Coordonné par Benoit Lamy du CHU de Nancy, ce groupe est piloté par Antoine Galmiche des Hospices civils de Lyon. L’une des premières étapes a été de réaliser ce questionnaire que vous évoquez, cet état des lieux. Nous nous sommes rendu compte que la maturité de notre communauté  n’était pas tout à fait au rendez-vous sur ce thème. Cela s’explique dans le domaine de la santé : la priorité, c’est d’abord de rendre  le meilleur service au patient. Les réflexions se poursuivent et pourront déboucher sur d’autres livrables à l’image de celui que l’AFIB a publié sur la sécurité numérique.

Aujourd’hui, trois axes majeurs sont traités. D’abord l’usage multiple versus l’usage unique car ce choix peut aussi être le nôtre. Le groupe RSE va produire des fiches par équipement, afin d’essayer de quantifier les coûts globaux de l’usage multiple et d’évaluer son intérêt par rapport à l’usage unique. Les brassards à tension, les électrodes d’électrocardiogramme, les électrodes de bistouris, certains endoscopes figurent parmi les premiers domaines étudiés. Nous surveillons aussi ce que font les sociétés savantes qui commencent à se saisir du sujet. Il y a beaucoup de démarches dans les blocs opératoires également.

Le second axe se place dans la continuité de ce qu’on sait faire depuis toujours : prolonger la durée de vie des équipements, avec le réemploi, l’évolutivité, ou la réparabilité, sujet sur lequel le SNITEM commence à concevoir un éco-score. L’AFIB a initié cette démarche avec un système et des méthodes pour fabriquer des pièces détachées par impression 3D il y a quelques années. C’est notre cœur de métier : parvenir à utiliser le plus longtemps les matériels, en toute sécurité et avec des programmes de mise à niveau qui permettent de proposer des équipements up to date aux patients.

La consommation énergétique est le troisième axe. C’est au moment de comparer les offres qu’on peut en faire un prisme d’analyse et de choix. Il s’agit de l’électricité pour l’imagerie ou la radiothérapie, mais aussi de l’eau en dialyse, pour la stérilisation… Nous aimerions produire quelque chose sur ce thème, avec une analyse et un questionnaire standardisé à utiliser au moment de l’achat. La mise en veille des équipements est un autre vrai sujet. »

achat-logistique.info : Cela passe par des cahiers des charges ou des clauses adaptées ?

Valérie Moreno : « En effet. C’est au moment de l’achat que cela se joue. Par exemple en demandant une durée d’engagement pour la fourniture de pièces détachées. Nous pouvons aller au moins jusqu’à 10 ans, voire plus pour certains équipements. »

achat-logistique.info : Vous avez évoqué la question des DM à usage unique. Quelle est la position de l’AFIB au sujet du « reprocessing » de ces équipements qui fait l’objet d’une expérimentation en France ?

Valérie Moreno : « Nous attendons que les sociétés savantes et les sociétés d’hygiène, comme la Société d’hygiène hospitalière, se positionnent. Ensuite, nous serons présents pour prendre le relais. Il faut aussi attendre le retour de l’expérimentation. Nous observons ce qui se passe du côté de l’Allemagne qui a déjà franchi un cap. Cela doit donc être possible technologiquement. Cependant, le retraitement entraîne une autre logistique, entre autres la stérilisation, dans laquelle nous serons forcément partie prenante. Le sujet illustre le thème principal des journées de Strasbourg, celui des aspects multiples du métier d’ingénieur biomédical. La RSE est une facette de plus à acquérir au même titre que le numérique. »

achat-logistique.info : Autre sujet d’envergure, la nouvelle réglementation des DM fera l’objet d’une  « masterclass » à Strasbourg. L’association envisage-t-elle de sortir un document pour aider les ingénieurs biomédicaux à s’y retrouver ?

Valérie Moreno : « Très honnêtement, ce n’est pas prévu, mais vous me donnez une très bonne idée. Pourquoi pas ? Car typer tous les équipements est un travail fastidieux, avec des matériels similaires dans des catégories différentes. Chaque établissement se débrouille par ses propres moyens. C’est pourquoi la « masterclass », qui rassemblera autour de la table tous les experts, de l’ANSM au SNITEM, sera l’occasion de faire le point et de partager les retours d’expérience. »

achat-logistique.info : L’intelligence artificielle figure également au menu de vos journées. Quel rôle doit jouer l’ingénieur biomédical, plutôt celui d’accélérateur ou plutôt celui de garde-fou ?

Valérie Moreno : « Globalement, nous sommes assez prudents. Mais nous devons aussi être pourvoyeurs d’innovation. L’IA, que nous avions choisi comme fil rouge à Reims en 2019, est aujourd’hui un sujet courant. Cependant, elle peut être abordée avec deux angles distincts. Il y a naturellement l’IA appliquée aux données de santé, désormais présente en imagerie : détection automatique de fractures, de polypes en endoscopie, de lésions sur les mammographies… Ce phénomène va s’amplifier en radiothérapie ou en anatomopathologie avec la numérisation des lames. Les ingénieurs biomédicaux seront en première ligne, ou en soutien aux DSI, afin de permettre à ces innovations d’entrer dans les établissements.

Ce que l’on voit aussi venir, c’est l’IA appliquée à notre métier, avec tout un champ à explorer sur nos bases de données, nos inventaires, nos façons d’organiser la maintenance. Un programme vient ainsi d’être lancé avec une société qui fait de la radiothérapie, l’Oncopole de Toulouse et Airbus sur la prédiction des pannes des appareils de radiothérapie grâce à de l’IA. J’y crois beaucoup et cela peut faire sensiblement évoluer notre profession. »

achat-logistique.info : Vous avez invité le centre hospitalier du Luxembourg à témoigner au sujet de sa gestion de parc externalisée.  Etant donné la taille modeste des équipes biomédicales dans certains établissements, est-ce une technique amenée à se développer ?

Valérie Moreno : « Cette technique n’est pas nouvelle. Les centrales ont des offres dans le domaine depuis plusieurs années. Bien souvent, ce choix relève essentiellement d’une question financière : les établissements ont-ils les moyens pour investir et le faire suffisamment vite afin de s’équiper des matériels dernière génération ? Je pense par exemple à la gynéco-obstétrique où il est nécessaire de renouveler les échographes de manière assez automatique. »

achat-logistique.info : Ce qui renvoie à la question de l’enveloppe allouée à l’achat des équipements biomédicaux. Est-elle suffisante ? L’une des dimensions du métier d’ingénieur biomédical est de planifier et de conseiller son établissement en matière d’investissement.

Valérie Moreno : « Il n’y en a jamais assez… Je le dis sous forme un peu de boutade parce qu’il nous est de plus en plus proposés des matériels qui valent plusieurs millions d’euros. Par ailleurs, si nous avions tout l’or du monde, nous n’existerions pas autant. Car notre métier est de guider les choix, de réaliser des analyses d’obsolescence, des études sur les méthodes de soins de demain avec quels équipements et quelles innovations de rupture.

Cependant, nous n’en aurons jamais assez en raison de la croissance de l’offre de soins. Le parc d’équipements dans les hôpitaux ne cesse d’augmenter. Auparavant, nous avions trois ou quatre équipements autour d’un même patient. Aujourd’hui en réanimation, il faut en compter vingt. L’ingénieur biomédical est aussi là pour fournir des arguments lors des arbitrages, entre le renouvellement des matériels courants, l’achat de matériel supplémentaire permettant d’autres prises en charge et l’introduction de matériels innovants. »

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