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Alix Pineau, une directrice de la logistique pas comme les autres

Alix Pineau a rejoint, au mois de juin, le CHU de Reims pour prendre en charge la direction de la logistique. Un recrutement original puisqu’elle arrive de l’administration pénitentiaire. Mais à ses yeux, les deux sphères se ressemblent plus qu’on pourrait le croire, avec le même impératif de réussite et le même degré d’exigence des équipes envers elles-mêmes.

Une licence en droit. Puis Sciences Po pour décrocher un master carrières judiciaires et juridiques en 2018. Munie d’un pareil viatique, Alix Pineau aurait pu finir par s’inscrire au barreau. Au lieu de cela, elle a préféré s’intéresser à ce qui se passait derrière les barreaux.

« J’ai découvert au cours d’un stage le milieu carcéral, très particulier, avec des enjeux forts sur le plan sécuritaire, mais aussi une dimension très humaine. La prison, c’est la privation de liberté, et de rien d’autre. Il faut donc maintenir les liens familiaux, accompagner la sortie, prévenir la récidive, lutter contre le suicide… », explique-t-elle. Une conciliation d’impératifs qu’elle trouve passionnante et stimulante.

Directrice du tripale B5 de Fleury-Mérogis

Celle qui se destinait à entrer dans la police ou la gendarmerie, « par goût pour le service de l’Etat dans ses formes les plus exigeantes », passe finalement le concours de directeur d’administration pénitentiaire. Durant sa formation, elle officie comme surveillante à la maison d’arrêt de Nanterre pendant trois semaines. Endosser l’uniforme de « maton » lui a permis de se mettre à la place des agents, « de comprendre leurs contraintes et leurs difficultés au quotidien. »

En octobre 2019, elle prend son premier poste dans une maison d’arrêt célèbre, celle de Fleury-Mérogis, la plus grande d’Europe puisqu’elle est conçue pour accueillir 3500 détenus sur 170 000 m2. La voilà directrice d’un tripale (les bâtiments sont construits sous la forme d’une hélice, NDR). Plus précisément le B5, d’une capacité d’un peu moins de 700 places, des hommes en détention provisoire et dans l’attente d’un jugement. Placée « très rapidement en situation de commandement », elle manage une équipe composée de 80 surveillants et d’une dizaine de cadres.

La prison, un univers méconnu

« Une expérience intense », confie Alix Pineau, responsable du bon fonctionnement d’une petite ville. Autrement dit, gérer des sujets aussi divers que les travaux de sécurisation, les incidents entre détenus, l’organisation de scrutins lors des élections ou la logistique. « On en fait comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir, parce qu’il faut organiser les flux de distribution des repas et du linge dans les cellules ». Le tout pimenté par la période Covid et l’inquiétude de la population carcérale au sujet de l’épidémie.

La plupart des Français ignorent tout de cet univers cadenassé. C’est pourquoi Alix Pineau a co-signé avec un camarade de promotion un livre sorti en juin dernier et destiné à faire découvrir au grand public les enjeux de la détention. « On en parle à la fois beaucoup et très peu. Beaucoup quand cela va mal. Et très peu s’agissant de la réalité du quotidien ».

Deux ans plus tard, elle quitte la région parisienne pour devenir adjointe au chef d’établissement de la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne (310 détenus). Un épisode de nouveau très formateur puisqu’il lui faut par deux fois assurer la direction par intérim.

Du violon au bloc

En 2024, cette passionnée de randonnée sort des sentiers battus : elle prend un détachement afin de rejoindre le CHU de Reims. « Ce n’est pas une fuite. Je reste très attachée à l’administration pénitentiaire », insiste Alix Pineau qui s’explique. « A moins de trente ans, je ne me sentais pas forcément légitime pour prendre la tête d’un établissement. Je voulais continuer à apprendre et progresser en découvrant un autre mode de fonctionnement. Et l’opportunité s’est présentée. » Quoi de mieux en effet que Reims pour prendre de la bouteille ?

Son profil atypique a sans doute été un atout. « L’administration pénitentiaire, de par ses conditions d’exercice difficiles, fait qu’on devient très vite opérationnel, avec des compétences managériales fortes », met en avant Alix Pineau. Elle observe par ailleurs beaucoup de similitudes avec la sphère hospitalière. « Il s’agit de milieux où existe un impératif de réussite et de continuité. Il n’est pas possible de dire qu’on ne fournira pas de repas aux patients comme aux détenus. Les équipes ont pour elles-mêmes une exigence assez similaire qui les pousse à se dépasser ».

Le sens de l’engagement

Elle dit avoir retrouvé ce sens de l’engagement chez les 300 agents de sa direction qui coiffe la blanchisserie, la restauration et les différents flux. « J’ai été marqué par leur très fort investissement et leur capacité à conserver leur motivation pour contribuer à la prise en charge des patients, en dépit de conditions de travail qui ne sont pas forcément simples, comme la température ambiante à l’unité de production des repas. J’ai beaucoup d’admiration pour eux ».

L’ouverture du nouvel hôpital retient évidemment toute son attention. « J’arrive dans un contexte particulier puisque le nouveau bâtiment ouvrira en septembre. Et en matière de logistique, cela m’a permis de comprendre que le diable se cache souvent dans les détails ».  D’autant que l’installation s’accompagnera d’équipements innovants : distributeurs automatiques de vêtements, vestiaires connectés, chariots repas par induction…

« De quoi questionner nos fonctionnements qui persistent dans les anciens bâtiments, en attendant les phases ultérieures des travaux », observe Alix Pineau, adepte du credo « Toujours un peu plus loin », comme Hugo Pratt, le maestro du neuvième art qu’elle apprécie particulièrement.

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