Même s’il existait déjà sous l’empire de la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 et des directives communautaires, le débat et les interrogations sur la notion de pouvoir adjudicateur concernant ces structures privées s’est renforcé il y a près de 20 ans, lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 6 juin 2005, qui rappelait en droit interne une notion susceptible d’aller au-delà du champ d’application classique des personnes publiques.
Les ESPIC (établissements de santé privé d’intérêt collectif) recouvrent en effet le champ du secteur privé non lucratif. Ils sont financés de la même façon que les hôpitaux publics et sont gérés par des personnes morales de droit privé. Leur activité recouvre à la fois le domaine médico-social et le domaine sanitaire.
Des pratiques disparates pour les achats
La qualification de ces structures de droit privé en pouvoir adjudicateur (PA) est déterminante, puisqu’elle emporte l’application des règles de mise en concurrence définies par le code de la commande publique pour l’ensemble de leurs achats.
En l’absence de positionnement jurisprudentiel établi par la Cour de Cassation ou le Conseil d’Etat, certaines structures ont pu prendre le parti d’une application stricte de ces règles, d’autres structures les ont écartées, et d’autres enfin les appliquent ponctuellement en considération des enjeux en présence.
On relèvera également que ces pratiques disparates s’opèrent dans un contexte de contrôle soutenu des chambres régionales des comptes qui considèrent régulièrement que ces structures relèvent de la qualification de pouvoirs adjudicateurs, et doivent appliquer les règles de mise en concurrence.
Des contrats de droit privé
Enfin, d’autres interrogations juridiques demeurent sur l’application totale des règles du Code, (distinction passation et exécution), ainsi que sur l’application de certaines dispositions du Code (ou par renvoi, aux CCAG publics), pour des contrats qui demeurent toutefois des contrats de droit privé, relevant à ce titre de la compétence du juge judiciaire.
Sans refaire l’exégèse de ces positions et débats juridiques, le récent avis du Conseil d’Etat apporte une interprétation claire sur les critères de qualification, et notamment sur le critère relatif à l’autonomie de gestion et au contrôle de la structure par un autre PA.
En d’autres termes, il apparait qu’aujourd’hui, au travers de cet avis, un positionnement beaucoup plus clair puisse se faire sur la qualification des ESPIC en PA, et, partant, sur l’application des règles de la commande publique sur leurs achats.
Rappel des critères de qualification du pouvoir adjudicateur, et de l’application des règles du CCP
Pour rappel, l’article L 1211-1 du code de la commande publique dispose, si l’on se concentre sur les structures ESPIC, que la qualification de pouvoir adjudicateur est retenue lorsque les 3 conditions cumulatives suivantes sont remplies :
- L’organisme doit être doté de la personnalité juridique ;
- Il doit avoir été créé pour la satisfaction spécifique de besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;
- Il doit répondre à, au moins, une des trois conditions alternatives suivantes, démontrant la dépendance de l’organisme à un autre pouvoir adjudicateur :
- l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur soumis à l’Ordonnance ;
- la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur soumis à l’Ordonnance ;
- l’organe administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur soumis à l’Ordonnance.
La qualification de pouvoir adjudicateur passe ainsi généralement par une analyse juridique qui permet de confronter les statuts, ainsi que les éléments d’informations comptables et de fonctionnement, à ces dispositions.
Eu égard aux statuts et à l’objet des ESPIC, les 2 premières conditions sont généralement remplies pour les ESPIC.
La question de l’autonomie de gestion
Les interrogations demeuraient sur le critère 3, relatif à la dépendance de l’organisme à un autre pouvoir adjudicateur. Sur ce point et à nouveau, les conditions du financement majoritaire, et celle du l’organe de direction ne posent généralement pas de difficulté :
L’analyse de la jurisprudence nationale et communautaire permet en effet de conclure, de façon globale, que la notion de financement concerne un transfert de moyens financiers opérés sans contrepartie spécifique (CJUE, 12 septembre 2013, IVD GmbH & Co. KG, aff. C-526/11 ; CAA Marseille, 22 mars 2012, 10MA02345).
À cet égard, l’analyse des comptes d’un établissement ESPIC permet généralement de conclure que le financement de leur activité par les tutelles ne constitue pas un financement public ou une subvention au sens de la jurisprudence, dans la mesure où les actes de diagnostic et de soins sont des prestations de services qui en constituent la contrepartie.
Également, l’analyse des statuts permet généralement de constater qu’il est rare que la composition de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance des ESPIC comporte plus de la moitié de membres désignés par les pouvoirs adjudicateurs. Ce critère est donc généralement et également écarté.
C’est donc principalement sur le critère de l’autonomie de gestion que les interrogations pouvaient persister, en l’absence de positionnement jurisprudentiel établi jusqu’à ce jour.
Sujet tranché pour les sociaux et médico-sociaux
La jurisprudence communautaire considérait déjà sur ce point qu’un contrôle a posteriori ne remplit pas ce critère lorsque ce contrôle ne permet pas aux pouvoirs publics d’influencer les décisions de l’organisme concerné (CJUE 27 février 2003, Adolf Truley GmbH c/ Bestattung Wien GmbH, aff. C 373/00, §70) et arrêt de la CJUE du 12 septembre 2013, affaire C-526/11, point 29).
Par son avis du 11 avril (n° 489440), le Conseil d’Etat rappelle que le degré de contrôle requis sur l’organisme doit se caractériser par une réelle capacité à influencer ses décisions. Sur ce point, il souligne que : « un contrôle, a posteriori, de la régularité de l’activité de la personne morale de droit privé par l’autorité publique de tutelle ne s’apparente pas à un contrôle de sa gestion ».
La décision du CE permet ainsi de conclure que les établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont ainsi pas soumis, du fait de ces dispositions, à un contrôle actif de leur gestion permettant aux autorités publiques d’influencer leurs décisions en matière d’attribution de marchés, et qu’il n’y a pas de de dépendance à l’égard de l’autorité publique.
Transposition de l’avis du Conseil d’Etat pour l’ensemble des ESPIC du secteur sanitaire
Si l’on exclut les ESPIC par détermination de la loi, ou bien encore les centres de lutte contre le cancer (CLCC), la question se pose de savoir si cet avis du CE, qui concerne les établissements sociaux et médico sociaux, peut être transposée aux établissements intervenant dans le domaine sanitaire.
A notre avis, la démonstration opérée par la Haute juridiction, notamment sur le sujet des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et du contrôle financier, sont déterminants pour emporter cette qualification, et peut permettre de conclure à l’affirmative.
Le Conseil d’Etat fait dans un premier temps un rappel des contrôles exercés par les autorités de tarification des ESSMS et notamment la passation de CPOM avec l’autorité de tutelle et les contrôles financiers.
Puis il souligne dans un second temps que ce contrôle a priori et a posteriori sur les ESSMS par les autorités de tarification n’est qu’un contrôle de régularité qui n’emporte pas un contrôle actif de leur gestion par les autorités publiques. Il en déduit que les ESSMS conserve donc leur autonomie de gestion et ne sont pas soumis à un contrôle des autorités publiques ayant une conséquence sur leurs décisions en matière d’attribution de marchés.
Il convient donc d’étudier cet avis sous le prisme des établissements intervenant dans le secteur sanitaire qui sont également soumis à un contrôle des autorités publiques par l’élaboration d’un CPOM et par la transmission de leurs comptes à l’ARS.
Ce raisonnement nous semble pouvoir être transposé dans la mesure où les CPOM et les contrôles financiers peuvent être considérés comme similaires entre les établissements sanitaires et les ESSMS. S’agissant des CPOM, les éléments de similitudes concernent notamment la durée, l’autorité de tutelle et les relations entre les acteurs.
Les modalités de contrôle des ARS
S’agissant des contrôles financiers, le Conseil d’Etat considère dans son avis que les transmissions des comptes à l’ARS ne sont pas un contrôle de gestion, et ne sont pas un contrôle actif. Or sur ce point également, nous pouvons considérer que les établissements sanitaires ESPIC sont soumis au même type de contrôle financier. Il importe de rappeler les modalités de contrôle de l’ARS sur certains éléments financiers des établissements sanitaires. Nous pouvons ainsi relever que les délibérations portant sur l’EPRD (état prévisionnel des recettes et des dépenses) et le PGFP (plan global de financement pluriannuel) ne sont exécutoires qu’après transmission à l’ARS, et en l’absence d’opposition du Directeur de l’ARS (Article L.6143-4 CSP).
Sous réserve d’une analyse précise des statuts de chaque structure, il apparait ainsi à la lecture des dispositions précitées que les activités et les orientations stratégiques des ESMSS et des ESPIC intervenant dans le domaine sanitaire sont principalement définies dans le CPOM imposé par les autorités de tutelle. Leur contenu est relativement semblable, et ils sont soumis au même contrôle financier par des autorités de tutelle.
Il nous semble par conséquent possible d’interpréter l’avis du CE sur la condition relative au contrôle de gestion des ESSMS comme pouvant s’appliquer aux établissements sanitaires ESPIC.
Partant, l’ensemble des conditions requises n’étant pas vérifiées, ces structures doivent être considérées comme ne relevant pas de la qualification de pouvoir adjudicateur.
Attention aux marchés de travaux
Sur le constat de cette conclusion, plusieurs questions se posent désormais à la lumière des pratiques et organisations structurantes parfois mises en place par les ESPIC pour leurs achats.
Notamment, il importe de rappeler les dispositions de l’article L 2100-2 du Code de la commande publique qui implique que certaines opérations de travaux (et services associés), lorsqu’elles sont subventionnées à plus de 50 % doivent être passées dans les conditions imposées par le Code.
Également, outre cette soumission obligatoire, se pose la question d’analyser la régularité et l’opportunité d’une soumission volontaire. Cette question emporte en elle-même d’autre sujets relatifs aux modalités de mise en concurrence, aux références au CCAG, à la dématérialisation, ou bien encore aux risques juridiques inhérents.
Au-delà de ces questions d’ordre purement juridique, il apparait néanmoins que la mise en place de politiques achats s’imposera de plus fort, ou en substitution, afin d’une part de satisfaire aux recommandations des chambres régionales des Comptes, mais également et d’autre part de maintenir ou structurer une organisation sur les achats, tant pour optimiser la passation et la mise en concurrence des marchés, que pour sécuriser les contrats pour la partie exécution.