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Personnes âgées : un robot pour dépister la dépression

Quand l’âge progresse, la dépression peut avancer aussi, mais masquée. Un tiers des personnes âgées vivant en établissement connaîtraient ainsi un état psychologique dégradé sans pour autant se voir diagnostiquées. Conçu par la start-up éponyme, Emobot met donc l’intelligence artificielle au service d’une veille comportementale et émotionnelle des seniors. Pour faire force face aux signaux faibles.

© Epictura

« La dépression affecte souvent les personnes âgées. Pourtant, elle reste le plus fréquemment sous-diagnostiquée, ses signes méconnus, voire confondus avec ceux du vieillissement, ou plus exactement avec l’image que nous nous en faisons. Par conséquent, bénéficier d’un dispositif décelant les signaux précurseurs de perturbations émotionnelles serait d’une aide précieuse aux équipes soignantes… » Comme tout professionnel du secteur, Nicolas Gallay, directeur médical du GCSMS Comete Bretagne, sait les difficultés des équipes face à la santé mentale des résidents d’institution. Mais Emobot aussi, qui, justement, se propose d’y répondre.

Le bien-être psychologique monitoré

Tanel Petelot

Développé par trois anciens étudiants de CentraleSupélec avec le professeur Renaud Séguier du laboratoire AIMAC (CentraleSupelec, IETR, CNRS), Emobot se présente en effet comme « le premier dispositif médical numérique (actuellement classe I, classe IIa prévue pour fin 2025) permettant de monitorer le bien-être psychologique d’une personne en continu et d’aider au diagnostic des troubles de l’humeur grâce à l’analyse de ses émotions par l’intelligence artificielle », expose Tanel Petelot, CEO de la start-up éponyme créée en 2022.

La solution a été conçue avec des médecins généralistes, des psychiatres et des neuropsychiatres. Embarqué dans un détecteur de chute, le capteur optique positionné dans un coin de la chambre enregistre en continu les expressions faciales, les modulations vocales et le dynamisme du mouvement du résident, données transmises dans la foulée à une tablette à IA embarqué pour se voir traduites en une carte du niveau d’éveil ou « tonus émotionnel » de la personne.

7 millions de données émotionnelles par an et par personne

Ces éléments sont ensuite communiqués à l’équipe, compilés sous forme d’alertes et de graphiques dans un tableau de bord personnalisé. « Et si les résultats paraissent plusieurs jours de suite déviants au regard de la moyenne habituelle (tristesse prolongée, apathie ou, au contraire, agitation…), Emobot alerte les soignants par mél ou SMS », souligne Tanel Petelot. Emobot peut ainsi analyser 7 millions de données émotionnelles par an et par personne, « dans le respect, bien sûr, des lois européennes sur le consentement et la protection des données ».

Il peut évidemment sembler paradoxal de confier le terrain des émotions à une machine ! « Mais le dépistage de la dépression, qui s’appuie sur un questionnaire oral, a ses limites, notamment avec les résidents apathiques ou alexithymiques qui ne verbalisent plus leur ressenti », souligne le dirigeant de la jeune pousse. Pour se soustraire aux activités sociales, les personnes peuvent aussi user de prétextes invérifiables (douleurs, difficulté à marcher).

Nicolas Gallay

Enfin, le turn-over des équipes, et plus largement leurs rythmes de travail, empêchent une véritable vision de la personne dans la durée, sans compter la pénurie de psychologues en établissement. « Fondé sur des expressions corporelles qui ne mentent pas, Emobot offre, lui, un regard et un suivi objectif de l’état émotionnel de la personne », salue Nicolas Gallay. Et le spécialiste d’insister : « cet outil ne répond pas seulement à la question des diagnostics insuffisants. En nous incitant à agir à un stade précoce, encore curable par des interventions non médicamenteuses, il limite aussi les effets délétères des molécules sur les capacités cognitives. »

À titre préventif

Après une première expérimentation rapportée « très prometteuse », en 2023, sur une cinquantaine de patients ayant tendance à s’isoler, Emobot, compatible avec tous les terminaux (smartphones, tablettes, ordinateurs…), vise aujourd’hui une diffusion plus générale, à titre préventif, auprès de chaque résident d’institution et, au-delà, à tous les niveaux de la pyramide des âges (hôpitaux, suivi ambulatoire).

Aux côtés du GCSMS Comete Bretagne et d’autres partenaires dont CentraleSupelec, la start-up labellisée Deeptech – désormais aussi connue à Las Vegas (CES) qu’à Paris (Prix HealthTech/FrenchTech) – vient donc de candidater à un appel à projet lancé par l’Agence du numérique en santé (1 million d’euros à la clé). Objectif : structurer des tiers-lieux d’expérimentation de solutions numériques en Ehpad. Et, le cas échéant, prouver que, malgré un coût élevé – 1200/1500 euros l’unité (possiblement remboursés pour partie au titre du support détecteur de chute) auxquels s’ajoute un abonnement mensuel de 15 €/pers – mieux vaut avec Emobot prendre la main que laisser perdre pied.

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