Opérer est un métier, enquêter en est un autre ! Conscient des biais induits par les interactions entre chirurgien et patient, le service d’orthopédie-traumatologie de l’hôpital Lariboisière à Paris troque donc ses anciennes évaluations orales « post-op » au profit d’une approche « Value Based Healthcare » (VBHC) à l’été 2022.
Conduite sous l’impulsion du professeur Rémy Nizard, chef de ce service historiquement centré sur l’arthroplastie du membre inférieur, la dynamique veut ainsi partir d’une appréciation des patients scientifiquement scorée, colligée et comparée, pour optimiser les soins prodigués. En clair, pour améliorer l’état de santé des patients après une pose de prothèse de hanche ou de genou. Mais un tel Graal se mérite.
Preums en PROMs
Première « épreuve », étape de réussite fondatrice : le choix des questionnaires PROMs, également appelés « scores cliniques ». Ils doivent suffisamment intéresser les patients pour être correctement remplis et s’afficher suffisamment fiables pour garantir la rigueur du process. Or, une foultitude de ces formulaires existe par pathologie.
« Il s’agit par conséquent d’en choisir les plus robustes méthodologiquement, déjà validés en français et dont la comparabilité est effective au niveau international », pose un des chirurgiens du service, Pierre-Alban Bouché. Et de conseiller, pour aider à « faire son marché », le passage par PROMIS (accès libre) et ICHOM (sous licence), deux banques de questionnaires permettant même, par un système dynamique, d’en croiser plusieurs au fur et à mesure des réponses du patient.
2 questionnaires à 7 reprises
Ayant sur ces bases opté pour deux scores spécialisés – KOOS (genou) et HOOS (hanche), accessibles gratuitement aux études universitaires – auxquels s’adjoint EQ5D pour la qualité de vie globale, le service de Lariboisière soumet donc depuis deux formulaires à chaque patient depuis deux ans et demi.

Pierre-Alban Bouché
« Ces documents étant adressés à de nombreuses reprises à l’opéré, une fois avant l’intervention puis à six intervalles encore – à 6 semaines, 3 mois, 6 mois, 1 an, 2 ans et 5 ans – il est en effet primordial de ne pas le lasser par une avalanche de questions », explique le praticien. Car sur le chemin de la VHBC, la question de la complétude constitue bien la deuxième marche à laquelle ne pas buter. Alors que 95 % des plus de quinze ans sont désormais équipés d’un téléphone (source Insee 2021), le service de Lariboisière choisit donc ce média pour solliciter le retour des répondants.
60 % de taux de remplissage
Pour ce faire, un prestataire est sélectionné, répondant à un cahier des charges qui veille à cadrer l’intégration du système dans l’environnement SI de l’établissement, exige un tableau de suivi des réponses en sus de celui des résultats eux-mêmes et s’assure de la propriété des données, dont toute vente doit se faire avec aval et rémunération de l’établissement.
Une fois donné leur accord d’intégrer leur contact au logiciel, un premier SMS est ainsi adressé aux futurs opérés dès le RDV chirurgical planifié, puis des notifications envoyées à chaque date clé. Résultats : « 60 % de taux de remplissage sur 1453 patients inscrits », félicite Pierre-Alban Bouché… Un volume raisonnable pour en tirer quelques enseignements.
La chirurgie robotique validée

© Hôpital Lariboisière
En effet, si deux années restent insuffisantes pour procéder à une évaluation digne de ce nom, les premières données engrangées autorisent déjà de premiers résultats, porteurs de répercussions potentielles sur les soins, l’organisation et/ou les achats.
« Témoignant par exemple de la pertinence de ce nouvel équipement, les arthroplasties totales par chirurgie robotique démontrent des douleurs intenses moins fréquentes à 6 semaines et à 6 mois (15,4 % de douleurs moyennes ou plus contre 21,8 % pour les PTG naviguées) ainsi qu’un rétablissement plus rapide », rapporte le chirurgien. De quoi augurer des retours à domicile plus précoces.
Des achats et pratiques réorientés
Et ce n’est pas tout : « Alors qu’une étude prospective menée entre 2022 et 2023 a déjà permis d’associer l’anxiété et le catastrophisme au risque de douleurs chroniques après une arthroplastie totale du genou, l’approche scorée VBHC pourrait aussi souligner l’incidence d’une certaine anxiété et/ou kinésiophobie préopératoires sur les résultats fonctionnels », poursuit-il. Une conclusion qui, là encore, impacterait le parcours de soins en conséquence, avec, pour certains patients ainsi pré-identifiés, la consultation en amont d’une psychologue d’ores et déjà recrutée.
Impliquer les patients dans leurs soins, personnaliser les parcours et pratiques en fonction de leurs profils afin d’optimiser l’opérationnalité et la fonctionnalité des soins… La VBHC se mérite certes, mais une fois apprivoisée, « c’est ainsi une véritable plus-value permettant de réorienter les pratiques et les achats en fonction d’une évaluation fiable de la qualité des soins », conclut le praticien.