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Des toilettes récupératrices d’agents de contraste

Le service de radiologie du CHRU de Brest s’équipe dans quelques semaines de toilettes de récupération de l’iode et du gadolinium contenus dans les produits de contrastes qu’il injecte à ses patients. Une première en France. Certainement pas une dernière.

© Zereau

Soixante mille euros l’unité. En apprenant le prix de l’équipement, Douraied Ben Salem, professeur en radiologie au CHRU de Brest, figure de proue du recyclage du gadolinium (lire nos articles du 21 février 2022 et du 12 janvier 2024), a vite remisé son idée d’en équiper tous les services de radiologie du GHT auquel appartient son établissement.

D’ici deux mois environ, il n’installera qu’une toilette filtreuse de produits de contraste pour les trois scans et les trois IRM de son service à Brest. En faire d’ailleurs baisser le prix est un des enjeux de la communication d’une telle initiative. Le succès probable d’un tel équipement devrait convaincre les fabricants d’agents de contraste en Europe de le fournir à prix plus raisonnables.

1226 litres en 2023

© Epictura

« Des cartouches avec absorptions spécifiques filtrent 99 % de l’iode et du gadolinium. C’est formidable, s’enthousiasme Douraied Ben Salem. J’ai fait le calcul. L’an dernier, à raison de 90 à 100 ml de produit iodé par scan, nous en avons injecté 1226 litres à nos patients. »

« On en récupèrerait la moitié dans les urines dans l’heure après l’examen, presque tout au bout d’1h30. Pour une IRM, on injecte 10 ml de produit à base de gadolinium. On n’en récupère que 15 % en une heure. Mais l’iode c’est le principal de ce que nous rejetons et qui s’en va, sinon, directement dans l’environnement », poursuit-il. Car ces produits, issus de l’hôpital ou des toilettes des particuliers, ne disparaissent pas en stations d’épuration.

Uriner sur place dans l’heure

Le chiffre des quantités à récupérer dans l’heure après l’examen provient d’une récente étude italienne. Elle indique que l’important est donc de faire uriner les patients sur place. « Pour accélérer les choses, ce sera thé ou café, si l’hôpital est plus généreux. Je ne sais pas lequel fait le plus uriner. Sinon, ce sera un verre d’eau », plaisante le radiologue.

En attendant il a déjà prévu qu’il faudra réserver les toilettes aux patients ayant eu une injection de produit de contraste, grâce à  un digicode. Qu’il faudra inventer autre chose – peut-être un sac à urines- pour les patients qui arrivent des services couchés, 80 % arrivant aujourd’hui debout, en consultation externe.

Pollution de l’eau du robinet et des piscines

© Epictura

L’étude italienne relève aussi que 92 % des personnes étaient prêtes à patienter une heure. En particulier les personnes âgées, moins pressées sans doute mais aussi de plus en plus concernées par les questions d’environnement.

Voilà quelques années que l’on sait que le gadolinium présent dans l’eau porte atteinte aux milieux aquatiques et marins. Pour l’iode, le danger est qu’il finisse sa course dans l’eau du robinet, via les sous-produits de désinfections de l’iode qui sont néfastes.

Une autre étude, suédoise cette fois, menée au long cours pendant plus de 16 ans à Karolinska, hôpital universitaire de Stockholm, auprès de 58 672 patients a mesuré une augmentation du risque de cancer du côlon en fonction de l’exposition aux produits de désinfection à base de chlore (trihalométhanes) cette fois, dans l’eau du robinet. Les hésitations vont donc être de moins en moins compréhensibles.

Comme des imprimantes

Douraied Ben Salem

Le bloc sanitaire qui va être livré au CHRU de Brest a été financé dans le cadre d’un appel à projet de l’ARS de la Région Bretagne portant sur l’éco-responsabilité et la pertinence des soins. Concrètement, il relie deux stations de collecte, une cuvette au sol et une autre en pissotière à un bloc de filtration. Le tout est simplement connecté au réseau sanitaire de l’hôpital.

La filtration est assurée par des cartouches amovibles, collectées, nettoyées et réutilisées par le fabricant. L’ensemble est fourni par la Société Zereau, hollandaise, de Nimègue, près de la frontière allemande, jusqu’ici spécialisée dans les produits de contraste radioactifs.

« La cartouche est facturée 400 €, ce qui revient grosso modo à 1 € le pipi, s’amuse Douraied Ben Salem. Le système ressemble à celui de nos imprimantes. Les fabricants de produits de contraste pourraient sans doute le développer sur le même modèle : toilettes fournies presque gratuitement en se rémunérant sur le prix des cartouches. »  Ils sont quatre en Europe : Braco, Guerbet, General Electric et Bayer.

Changement des mentalités

© Epictura

Recycler l’iode et le gadolinium restera sans doute encore un moment plus cher pour eux que de s’en procurer surtout au Chili et au Japon pour le premier, essentiellement en Chine et au japon pour le second. Mais le projet Megadore du Pr Ben Salem pour récupérer les restes de gadolinium non-utilisé dans les seringues et les flacons a montré l’intérêt des radiologues européens.

Les directions des établissements de santé commencent à se soucier de la dangerosité de leurs effluents. « C’est révolutionnaire, s’enflamme Douraied Ben Salem. Il y a quatre ans quand avec mes collègues de Megadore, on parlait de récupérer les urines des patients, tout le monde rigolait. On y est ! »

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