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Vers de nouveaux « green » indices pour l’achat public de produits numériques ?

La lutte contre le gaspillage et la réduction de l’empreinte carbone ont le vent en poupe. Pour s’inscrire dans la tendance, le Sénat a adopté en janvier dernier une proposition de loi qui introduit un indice de réparabilité et un indice de durabilité pour l’achat public de produits numériques. Il s’inscrit dans une volonté de transition numérique écologique, mais sa portée réelle interroge. Décryptage par Laurence Huin et Jessica Philipps, avocates du cabinet Houdart.

© Epictura

Les nouvelles dispositions proposées

L’article 13 de la proposition de loi modifie l’article 55 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, en le complétant de 2 alinéas, comme suit :

« A compter du 1er janvier 2021, les services de l’Etat ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements, lors de leurs achats publics et dès que cela est possible, doivent réduire la consommation de plastiques à usage unique, la production de déchets et privilégient les biens issus du réemploi ou qui intègrent des matières recyclées en prévoyant des clauses et des critères utiles dans les cahiers des charges.

Lorsque le bien acquis est un logiciel, les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration promeuvent le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation.

À compter du 1er janvier 2022, lors de l’achat public de produits numériques disposant d’un indice de réparabilité, les services de l’État ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements favorisent les biens dont l’indice de réparabilité, tel que défini à l’article L. 541-9-2 du code de l’environnement, est supérieur à un certain seuil défini par décret.

À compter du 1er janvier 2025, lors de l’achat public de produits numériques disposant d’un indice de durabilité, les services de l’État ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements favorisent les biens dont l’indice de durabilité, tel que défini au même article L. 541-9-2, est supérieur à un certain seuil. »

En substance donc, une transition en trois temps :

Temps 0 : dès à présent, les services de l’Etat et les collectivités territoriales et leurs groupements doivent, a minima à l’occasion de leurs achats publics, dans l’idéal chaque fois que cela est possible, optimiser leur consommation énergétique.

Temps 1 : à compter de 2022, ils devront favoriser l’achat, la livraison et la fourniture de biens proposant les meilleurs indices de réparabilité.

Temps 2 : à compter de 2025, ils devront favoriser l’achat, la livraison et la fourniture de biens proposant les meilleurs indices de durabilité.

On notera que la première version du texte prévoyait la mise en œuvre de l’indice de réparabilité dès le 1er janvier 2021 et l’indice de durabilité dès le 1er janvier 2024. Un amendement, adopté en commission, a décalé d’un an l’entrée en vigueur de cette mesure, afin de permettre plus de progressivité.

Cela posé, plusieurs éléments interrogent.

Qu’est-ce qu’un indice de réparabilité ? Qu’est-ce qu’un indice de durabilité ? Pourquoi dissocier ?

L’indice de réparabilité

Laurence Huin

L’indice de réparabilité est une note sur dix permettant au consommateur d’être informé sur la capacité à réparer un produit acheté neuf. Il est notamment déterminé en fonction de la durée de disponibilité de la documentation technique et relative aux conseils d’utilisation et d’entretien, du caractère démontable de l’équipement, de la durée de disponibilité et de livraison des pièces détachées, et de leurs prix, ainsi que de certains critères spécifiques à la catégorie de produits concernée. De quoi donc alourdir et complexifier le processus achats des personnes publiques concernées.

L’indice de durabilité

L’indice de durabilité est également une note sur dix permettant quant à lui d’informer le consommateur sur la fiabilité et la robustesse du produit. Il a vocation à se substituer à l’indice de réparabilité, mais la frontière entre les deux options demeure floue à ce stade. Par ailleurs, pourquoi ne pas avoir d’emblée mis en place, quitte à favoriser une mise en place encore plus progressive, cet indice de durabilité ? Un décret tendant à préciser les modalités de détermination de cet indice est toujours attendu. Espérons qu’il apporte les réponses escomptées.

Une portée limitée ?

Les nouveaux indices ne s’inscrivent ils pas d’ores et déjà dans la lignée, déjà bien encrée, incitant les acheteurs publics à favoriser un achat présentant certaines garanties environnementales ?

Le code de la commande publique prévoit déjà une multitude de critères d’attribution, parmi lesquels des critères « écologiques » déjà appliqués par les acheteurs : coût du cycle de vie, critère environnemental, conditions de production et de commercialisation, performances en matière de protection de l’environnement, conditions de livraison, assistance technique, sécurité des approvisionnements, etc. L’apport de ces nouveaux indices pourrait donc être à nuancer.

Ces nouveaux indices de réparabilité et de durabilité seront-ils applicables aux établissements publics de santé ?

Dans la pratique, les nouvelles dispositions ont été annoncées comme visant à orienter le comportement de tous les acteurs du numérique. La réalité pourrait s’avérer plus complexe. En effet, ce nouvel indice de réparabilité, puis de durabilité, ne serait opposable qu’aux « services de l’Etat, et aux collectivités territoriales et leurs groupements ».

Les établissements publics de santé n’apparaissent donc pas, du moins à ce stade, concernés. S’ils sont définis à l’article L6141-1 du code de la santé publique comme des personnes morales de droit public, soumises au contrôle de l’Etat, ils n’apparaissent pas qualifiables de « services de l’Etat ».

Jessica Philipps

Ce point est d’ailleurs confirmé par le code de la santé publique, qui reconnait expressément la distinction. En atteste par exemple l’article 1413-7, qui dissocie clairement les services de l’Etat des établissements de santé : « par les services de l’Etat ou par les établissements publics qui lui sont rattachés » ou encore l’article 1414-15 : « Les services de l’Etat et les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les établissements de santé publics et privés, le service de santé des armées, les établissements et services sociaux et médico-sociaux, les services de secours ainsi que tout professionnel de santé ».

En atteste également le Chapitre du code de la santé publique intitulé « Services de l’Etat » qui identifie expressément : la Direction générale de la santé, la Direction générale de l’offre de soins ou encore les corps d’inspection du ministère de la santé comme « services de l’Etat ».

Face à ce constat, quelles solutions ?

Dans l’immédiat, attendre que le texte soit validé, et espérons le précisé, par l’Assemblée nationale. Le chemin de la navette parlementaire est encore long, et les dispositions pourraient tout à fait être précisées, et même étendues à une plus grande catégorie d’acheteurs.

À plus long terme, et si le texte était in fine adopté, s’en remettre à d’éventuelles évolutions législatives et réglementaires. En effet, un décret d’application de ces nouvelles dispositions sera nécessairement publié. Par ailleurs, rien ne permet à ce stade d’écarter l’hypothèse d’une évolution ultérieure du code de la commande publique intégrant ces aspects.

Quoi qu’il en soit, et avec l’avantage d’optimiser l’achat public, rien ne fait obstacle à ce que les établissements publics de santé décident volontairement, et même sans relever de la catégorie « services de l’Etat », de s’aligner sur ces nouvelles dispositions et d’insérer dans leurs documents de la consultation ces « green » indices.

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