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Recyclage : enfin la formule pour le formol

Lancé depuis deux ans dans la recherche assidue de moyens permettant de limiter la consommation de formol, forme liquide du formaldéhyde, le CHU de Bordeaux a testé avec succès une machine américaine à recycler ledit composé. Et, dans la foulée, convaincu l’industriel français Labelians de se lancer dans la distribution prochaine de cet équipement miracle.

© Epictura

« Le formol – Saison 2 », annonce d’entrée et non sans humour Anne Rullier. La série a en effet débuté il y a plus de deux ans maintenant, lorsque cette praticienne, médecin anatomo-cyto-pathologiste au CHU de Bordeaux, décide de s’attaquer au formol, cet indispensable du labo qui aligne néanmoins une liste conséquente de risques, tout à la fois cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques et neurotoxiques.

Au programme de sa réflexion donc, tous les moyens de modérer la consommation de ce composé organique dangereux, au nombre desquels la création d’une filière de deuxième main à partir du formol presque neuf des biopsies (lire notre article du 13 septembre 2022). Après quelques expérimentations, le succès sera effectivement là, suffisamment pour que deux ans plus tard, le système D comme débrouille ait fait place à un système P comme professionnel.

Un recycleur utilisé depuis 20 ans

Anne Rullier © LD

« Aussi probante était-elle, la « valorisation maison » avait toutefois ses limites », explique la spécialiste. À commencer par sa portée très limitée dans la mesure où elle ne pouvait s’appliquer au formol souillé, lequel – bien qu’à des degrés d’impuretés divers selon les tissus analysés – constitue pourtant 90 % des déchets formol du laboratoire.

Il fallait donc trouver une solution plus performante. Après des semaines de recherche et d’expérimentations infructueuses, la quête têtue va enfin livrer sa solution : l’existence, au fin fond de l’Oregon, d’un recycleur conçu par Rex Johnson (société CWS) qui fait ses preuves outre-Atlantique depuis vingt ans ! Le CHU de Bordeaux sera ainsi le premier établissement européen à s’en équiper, d’abord d’un petit modèle (4 litres) en janvier 2024, suivi six mois plus tard par un plus grand modèle de 12 litres.

Plus de commande de formol depuis 6 mois

Certes, là encore tous les formols usagés ne sont pas éligibles au recyclage, et une sélection des liquides reste à opérer avant de les verser dans la machine, en éliminant ceux ayant servi à fixer des tissus particulièrement sanguinolents tels que la rate ou très gras comme le sein.

Mais les résultats sont probants, avec un chiffre sans appel : « zéro formol recommandé depuis juillet », s’enthousiasme Anne Rullier qui annonce 25 à 30 litres dudit réactif ainsi recyclés chaque semaine depuis six mois, PH, tests chimiques et données vérifiés, compilés dans une étude clinique avec tests moléculaires à l’appui fondant l’état de l’art.

Vers une fabrication française

Alexis Piotto ©LD

Efficace et d’autant plus écoresponsable qu’il est passif dans son fonctionnement , l’équipement made in USA (1,40 m sur 60 cm de circonférence) se devait donc d’être maintenant distribué en France. Contacté par l’aficionada bordelaise, la société Labelians (groupe CML-ID), fournisseur de matériel de laboratoires, est aussitôt convaincue, justement persuadée que le temps est venu d’une autre approche industrielle, « non plus fondée sur la fabrication et/ou la commercialisation d’une référence, mais sur la mise à disposition d’une solution complète intégrant l’ensemble du cycle de vie de cette dernière », explique son directeur commercial et marketing, Alexis Piotto.

Le projet industriel se planifie. Dans un premier temps importer et distribuer le recycleur à formol en France (1er semestre 2025) puis, brevet acquis, fabriquer la machine sur le site d’injection plastique Labelians d’Angers en en faisant évoluer la technologie et les fonctionnalités… À commencer par ses filtres spéciaux (charbon actif et sable volcanique) afin qu’ils soient eux-mêmes recyclables et que 100 % des formols souillés puissent- par leur action – être revalorisés .

« L’objectif est que cet équipement ne soit plus à part mais s’intègre totalement au processus dans une gestion 100 % circulaire du réactif », détaille Alexis Piotto. Aussi, vente, location, mise à disposition contre commandes de pièces, consommables et maintenance, ou encore gestion de parc… « Toutes les options de modèle industriel demeurent ouvertes à ce jour, ne pouvant donner lieu à aucun chiffrage », ajoute son collègue, Redouane Bouchaala, responsable de la stratégie d’innovation.

Tous les réactifs liquides concernés

Le recycleur ©CHU Bordeaux

Mais si les contours de l’avenir commercial du recycleur à formol restent ainsi encore un peu flous, « nous sommes déjà, en revanche, à l’orée d’un changement très clair de paradigme pour les laboratoires, avec cette possibilité nouvelle de réduire de manière drastique l’achat de formol et la diminution proportionnelle de son empreinte, économique comme environnementale », se félicite Anne Rullier. Moins de livraisons, moins de manutention, moins d’effluents à éliminer …

Et ce sans même évoquer la quasi-autonomie du laboratoire enfin recouvrée face à des pénuries toujours possibles. Autant d’atouts qui ne devraient d’ailleurs pas être réservés qu’au formol, le recycleur pouvant aussi traiter d’autres produits chimiques tel que l’alcool. Mais ne « spoilons » pas la saison 3 !

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