Un chiffre résume l’enjeu : près de 1,15 milliard de kWh ! Par la seule ventilation de leurs salles d’opération, hôpitaux et cliniques français consomment ainsi chaque année autant que tous les ateliers industriels, selon le Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (CEREN)…
Sachant que « plus on veut maîtriser la contamination, plus la consommation énergétique est importante, il faut donc jouer sur la variation de régime si l’on veut répondre aux nouveaux impératifs d’efficacité énergétique », réagit le délégué général de l’Aspec, Stéphane Ortu.
En clair, adapter les débits d’air à la classe de risque des interventions programmées, mais aussi ne plus « tourner à plein régime » en salle inoccupée. La norme NF S 90-351 relative aux exigences en matière de maîtrise de la contamination aéroportée dans les établissements de santé associe justement un tableau de performance au mode veille depuis avril 2013.
Pas si simple !
Fonctions des classes de propreté des interventions qui y sont pratiquées, les objectifs de performance attendus dans chaque zone à risque en matière de présence particulaire dans l’air (exigence de la classe ISO) peuvent donc être ainsi temporairement revus à la baisse. Techniquement, « cela revient à réduire les taux de débit et de brassage de l’air (en volume/heure) sans altérer les conditions de pression », explique Stéphane Ortu.
Or, dix ans plus tard, le process n’a diffusé qu’à 10 % des hôpitaux selon le spécialiste. Pourquoi ? « Parce que c’est en réalité très compliqué à mener », avoue le docteur Élodie Lafond, praticien en hygiène hospitalière au CH Samuel Pozzi de Bergerac, un établissement qui vise pourtant, dès 2013, à « déclasser » ses salles inoccupées, notamment la nuit.
Des questions centrales soulevées
Impensable, évidemment, d’opérer dans des conditions qui ne seraient pas les meilleures. « Il faut donc se préserver de toute intervention réalisée sous une mauvaise classe de risque, mais aussi permettre un étalement des horaires du bloc qui n’achoppe pas à une mise en veille impromptue et autoriser l’urgence, notamment en orthopédie-traumatologie (salles ultra propres) au sein d’un établissement qui fonctionne 24h/24 », résume Élodie Lafond.
Au CHU de Bordeaux, dont les trois sites ont également appliqué la norme très rapidement, « de longs temps d’échange ont été nécessaires pour justifier l’absence de risque auprès des équipes, compteur de particule et dispositifs de sécurité multiples à l’appui », relate Denis Lopez, pilote de la démarche bordelaise avant de devenir formateur à l’Aspec.
Bien veiller au mode veille
Premier levier de réassurance : limiter le mode veille d’une zone de risque 4 à une classe de risque 3 afin de minorer les conséquences d’une erreur potentielle : « Bordeaux a ainsi préféré passer de classe ISO 5 à ISO 7 et non ISO 8 comme la norme l’y autoriserait, 70 % des actes opératoires restant possibles en ISO 7 », précise Denis Lopez.
Ensuite, en cas d’urgence, un bouton-poussoir accessible permet aux équipes de relancer le plein régime, le délai de retour à la normale étant qualifié pour chaque salle par un bureau de contrôle et triplé si les circonstances le permettent. Le mode veille doit également être clairement signalé : affichage mural lisible sur tablette CVC et éclairage ambiant réduit de 50 %, ce qui contribue de surcroît à réduire la consommation énergétique.
Bordeaux a même renforcé le dispositif à l’aide de LED rouges apposés au plafond soufflant. Enfin, et pour éliminer toute ambiguïté, un asservissement de l’automate au scialytique permet, soit l’impossibilité d’allumer ce dernier en mode veille (Bergerac), soit de relancer automatiquement le plein régime en cas d’activation (Bordeaux).
Anticiper, analyser, qualifier
« De fait et, compte tenu de tous ces impératifs, indispensable pour sécuriser l’ensemble et dépasser les freins psychologiques, la mise en mode veille emporte un bon nombre de difficultés qui imposent l’accompagnement d’experts », reconnaît Élodie Lafont. Certes, « un ajout sur bloc existant reste possible mais complexe à réaliser avec l’introduction des câblages, la présence de sas propres à limiter les pertes de pression et les questionnements sur les capacités, tant de la centrale que de l’automate, à gérer la modularité », convient également Denis Lopez.
Ainsi, « le mode veille doit-il plutôt être interrogé, sous forme d’analyse des risques, dès la phase de conception des travaux d’installation, avec une analyse fonctionnelle précise de la centrale de traitement d’air exposée dans l’avant-projet », pose Stéphane Ortu. « À l’appui de retours d’expérience, une collaboration entre les hygiénistes, les concepteurs, les ingénieurs et les utilisateurs sont indispensables à la réussite du projet », ajoute Elodie Lafond. Sans oublier, en aval, la formation, l’information et la sensibilisation des personnel concernés, qu’ils relèvent du technique, du médical ou du paramédical.
Des consommations divisées par deux
Si ces efforts ont donc un prix – en temps passé et en surcoût matériel, estimé à 30 % environ – ils portent néanmoins aussi leurs fruits, « 45 à 50 % de réduction de la consommation électrique par salle ISO 5 tournant désormais pour 60 % du temps en régime réduit », d’après Denis Lopez.
Même écho à Bergerac qui espère une économie de moitié sur l’ensemble des coûts énergétique (électricité, eau et chauffage), « soit environ 5 000 euros/salle et par an à rapporter aux 5 salles ISO 5 qui seront au total qualifiées sous ce mode à l’horizon 2026 », confirme Élodie Lafond. Et donc, malgré les freins et obstacles, un mode veille qui mérite largement d’être étudié mais les yeux bien ouverts.