Selon une enquête publiée en 2019 dans « Anest Reanim », 70 % des anesthésies générales étaient encore, en 2018, entretenues par des gaz halogénés, gaz à effet de serre (GES) dont les conséquences sur l’environnement sont particulièrement impactantes, au même titre que le protoxyde d’azote.
Or, « faiblement métabolisés par les patients, ces gaz sont le plus souvent rejetés dans l’atmosphère, soit de façon directe par les systèmes d’évacuation des gaz d’anesthésie (Sega), soit de façon indirecte avec l’utilisation de filtres à charbon actif… Des filtres qui, eux-mêmes, partent ensuite dans le circuit des déchets classiques pour être incinérés », explique le docteur Jane Muret, cheffe de service anesthésie-réanimation-douleur-infectiologie à l’Institut Curie, qui interviendra lors du prochain Clean Med à Lille en septembre (lire notre article du 18 juillet 2024).
10 respirateurs équipés
Consciente de la problématique – les gaz halogénés représenteraient 0,1 % de la globalité des émissions de GES des pays industrialisés – celle qui est également administratrice de la SFAR et membre du comité développement durable de The European society of anaesthesiology and intensive care (ESAIC) travaille donc depuis plusieurs années, avec les industriels, à la récupération de ces gaz en vue de leur recyclage.
Après l’avoir testée sur 4 respirateurs de son établissement en 2022, elle a ainsi installé sur les 10 machines de son bloc la seule solution actuellement disponible en France, à savoir le ContrafluranTM2. « Proposé par Baxter et Zeosys Médical, ce dispositif est composé d’une cartouche ContrafluranTM à base de charbon de noix de coco reposant sur son unité SensofluranPlusTM dont un capteur contrôle le niveau de remplissage », précise le médecin.
20 allers-retours Paris /New-York économisés
Les avantages en semblent en effet nombreux. D’abord pour l’environnement bien sûr : « compte tenu des 630 flacons de sévoflurane utilisés chaque année, soit 200 à 250 cartouches pour 11 000 actes pratiqués, nous économisons quelque 20 000 équivalents CO2/ an, soit 20 allers-retours Paris /New-York pour une personne en avion », rapporte avec entrain Jane Muret.
Pour les structures non équipées de prise Sega, cet intérêt écologique se verrait même doublé d’une réduction des déchets (les plastiques et filtres des cartouches ContrafluranTM sont recyclables) auquel s’ajouterait de surcroît un volet économique, les fameuses cartouches commercialisées par Baxter s’avérant moins chères que celles de charbon activé. Enfin, le dispositif est très simple à utiliser une fois installé.
14 000 euros investis
Toutefois, plusieurs autres éléments viennent en concomitance entraver plus ou moins sérieusement l’adoption du système. À commencer par les limites techniques de ce dernier, lequel ne fonctionne, à ce jour, qu’avec le sévoflurane et/ou le desflurane dont les jours sont désormais comptés en raison de son haut pouvoir polluant. De plus, en cas de prise Sega existante, le dispositif ne peut s’associer qu’aux respirateurs acceptant le passage d’un mode actif à passif.
Et dans ce dernier cas enfin, l’engagement ne se fait pas non plus sans investissement : « compte tenu de la nécessité d’adapter les appareils à l’aide d’une pièce spécifique dont la commande et l’installation par un technicien qualifié sont facturées 1000 euros, les dépenses pour la totalité de nos respirateurs se sont dès lors évaluées à 14 000 euros, auxquels s’ajoute un contrat de maintenance annuel de 3000 euros environ », détaille la professionnelle.
Les cartouches privées de transport
De quoi donc tempérer quelque peu l’enthousiasme… Mais les réserves majeures se trouvent pourtant encore ailleurs. Alors que l’AMM fait toujours défaut à une utilisation des gaz récupérés en France, « le retraitement des cartouches usagées continue de ne s’effectuer qu’en Allemagne, ce qui grève les économies carbone d’une empreinte transport non négligeable », regrette la cheffe de service.
Un transport devenu, qui plus est, de plus en plus problématique, au fur et à mesure que les règles se sont durcies en la matière. Attentifs à ne pas contrevenir à la loi ni à mettre les établissements clients en porte-à-faux réglementaires, Baxter a en effet décidé que les cartouches de gaz usés devaient – au titre des déchets – être confiées à des transporteurs spécialisés. Or, ceux-ci traîneraient des roues devant la modestie du marché (seulement quelques centaines de cartouches mensuelles).
Trouver des solutions à la solution
Résultat : « lesdites cartouches s’accumulent depuis des semaines dans nos stocks en attendant leur départ pour une deuxième vie, alors qu’elles ne sont que des dispositifs de capture », s’agace Jane Muret. Et d’espérer donc que l’industriel trouve rapidement des pistes, soit en sortant ces appareils de la législation du déchet, soit en profitant de l’incitation faite aux nouvelles filières pour impulser des solutions de traitement locales.
Ce dernier y planche, « avec pour objectif, la mise en place, à long terme, d’une économie circulaire complète pour les anesthésiques capturé », assure Baxter. Parce que la question des gaz halogénés mérite assurément mieux que des actions…en l’air !