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Gaz anesthésique : Le Limousin en ordre de marche contre le desflurane

Les anesthésistes de la Polyclinique de Limoges ont cessé d’utiliser le desflurane. Et ce, après avoir réalisé l’ampleur des dégâts environnementaux de ce gaz dans leur établissement, équivalant à ceux de plus de 2 millions de kilomètres réalisés en voiture. Aujourd’hui, les centres chirurgicaux de tout le Limousin sont sensibilisés avec cette même image marquante de la pollution automobile.

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Du jour au lendemain, la Polyclinique de Limoges a cessé de commander du desflurane, ce gaz anesthésique halogéné particulièrement polluant. Et ce, sous l’impulsion de Sébastien Ponsonnard, un médecin anesthésiste réanimateur qui n’est pas du genre à abandonner ses combats. Il faut dire que cela fait 15 ans qu’il est passé au sévoflurane. A l’époque, il avait rédigé un chapitre de l’Encyclopédie médicale-chirurgicale sur les gaz halogénés, pour lequel il fut un des premiers à écrire en français sur leur impact environnemental.

« Ce n’est pas quelque chose que j’avais appris à la fac ! », souligne-t-il, pour expliquer pourquoi ses confrères ne sont pas tous avertis. « Le pouvoir de réchauffement climatique du desflurane est plus de 2500 fois supérieur à celui du CO2 or il existe des alternatives moins polluantes, en anesthésie générale, en anesthésie loco-régionale, dont le sévoflurane, dont l’impact est 20 fois moindre », martèle-t-il aujourd’hui.

Le choc des images

Malgré ses convictions et les recommandations pour la « Réduction de l’impact environnemental de l’anesthésie générale  » publiées en 2022 par la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar), Sébastien Ponsonnard ne parvenait pas à convertir ses confrères de la Polyclinique de Limoges. Jusqu’à ce qu’il trouve un argument choc : comparer l’impact du desflurane à celui du trajet d’une voiture.

Concrètement, le processus fut simple. Après s’être informé auprès de sa pharmacie de la quantité de gaz halogénés consommée en un an à la Polyclinique, il a pu, au regard d’études préexistantes, déduire la quantité de sévoflurane nécessaire pour remplacer le desflurane via un simple tableur Excel. Des chiffres qu’il a passés dans le convertisseur de l’Agence de la transition écologique (Ademe).

Résultat, sur la base des données de 2022, la planète peut s’épargner 444 tCO2e si l’établissement arrête de recourir au desflurane : soit autant que 2 042 279 km effectués en voiture. C’est plus de 50 tours de la Terre ! Et encore, le calcul a été réalisé avec les taux de conversions de gaz les moins favorables et sans compter l’impact des cuves chauffantes, un matériel supplémentaire nécessaire pour l’utilisation du desflurane.

Aucun bouleversement de pratique

Sébastien Ponsonnard

« Avec les taux les plus favorables, on aurait affiché environ 600tCO2e annuel et non 444 », estime Sébastien Ponsonnard. « J’ai rédigé ces données dans un email à mon équipe, puis nous avons voté unanimement l’arrêt immédiat de nos commandes de desflurane ». Comme quoi, le choc des mots et le poids de la « bagnole » dans l’imaginaire peut avoir des effets étonnants, même sur des esprits scientifiques qui avaient déjà les données en main.

Les anesthésistes craignent l’impact d’un changement de pratique. Et les laboratoires avancent plusieurs arguments pour le maintien du desflurane. Ce gaz permet notamment un réveil quasi immédiat du patient (le fameux concept des anesthésies on/off).

« Ce n’est pas faux mais la performance clinique est négligeable. La différence de temps de réveil est de 4 minutes. Concrètement, désormais pour obtenir le même résultat qu’avant, je coupe l’apport de sévoflurane 4 minutes plus tôt, pendant que l’équipe procède au pansement. Cela ne change pas nos pratiques, juste nos habitudes », estime Sébastien Ponsonnard

Bientôt dans tout le Limousin ?

Dans le cadre de Transitions Limousines, un think tank pour la transformation de l’économie du Limousin, dont Sébastien Ponsonnard est membre, un travail similaire a été mené pour l’ensemble des 11 centres chirurgicaux de la région. Concrètement, l’anesthésiste, bien connu par ses confrères du territoire pour avoir travaillé au CHU de Limoges, a appelé chacune des pharmacies concernées pour obtenir les volumes de gaz halogénés utilisés. Et passé ces chiffres dans son tableur puis dans le convertisseur de l’Ademe.

Son rapport montre que le desflurane génère environ 1200 tCO2e par an dans les hôpitaux et cliniques du Limousin. Depuis rendu public, le document a d’abord été communiqué aux acteurs concernés : les anesthésistes et leur direction. Résultat, sur onze établissements pratiquant des anesthésies dont la Polyclinique de Limoges, cinq ne se servaient déjà plus du gaz pointé du doigt ; quatre ont stoppé leur usage de desflurane et un autre a réduit sa consommation de moitié après avoir changé de pratique.

Justification écrite à partir de 2026

Poursuivant son combat, Sébastien Ponsonnard vient par ailleurs de commenter un article prônant le recyclage du desflurane, une démarche qui lui semble aberrante au regard de l’enjeu environnemental. Un écrit qui a fait le buzz. Depuis, certains centres le remercient ou lui demandent carrément de calculer les volumes de sévoflurane nécessaires pour remplacer leur consommation actuelle de desflurane. Autrement dit, d’inclure un chiffre dans son tableur Excel ! Ce qu’il fait volontiers.

Avant cela, Sébastien Ponsonnard était déjà optimiste. De fait, le desflurane, déjà interdit en Ecosse, nécessitera une justification écrite pour chaque patient dans l’Union Européenne à partir de janvier 2026. Une paperasse administrative qui pourrait être encore plus radicale que la comparaison avec la pollution automobile…

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