On le sait, l’activité du bloc n’épargne guère l’environnement, générant par exemple 30 % des déchets des établissements de santé à lui seul. Or, « déjà responsable d’une empreinte carbone équivalant à 2300 kilomètres en TGV bilan carbone par anesthésie générale (AG), l’anesthésie participerait grandement à ces chiffres, notamment par un gaspillage médicamenteux évalué à 30 % des préparations intraveineuses (IV). Cela ne doit plus durer ! »
Le propos est celui de Matthieu Roullet -Renoleau, infirmier anesthésiste à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite (260 lits et places, 10 salles d’opération). Avec son homologue Marion Faure, ce professionnel a décidé de réaliser, dans le cadre de son mémoire de fin d’études, une étude sur le gaspillage des médicaments intraveineux au bloc opératoire et ses conséquences sur le développement durable. Pour enfin, mesures à l’appui, marquer les esprits et optimiser les pratiques professionnelles existantes.
Repenser les conditionnements
L’étude a été menée sur le mois de février 2023 auprès de 514 professionnels de l’anesthésie exerçant au sein d’une petite centaine d’établissements de santé du territoire, outre-mer compris. Les répondants qui avaient à se prononcer sur 24 items s’avèrent pour trois-quarts issus du corps des infirmier(e)s anesthésistes, pour un quart médecins spécialistes de la discipline.
Et même si les causes peuvent être déjà connues, les chiffres sont là, ne ménageant les pratiques, ni des uns, ni des autres. À commencer par les laboratoires dont les conditionnements inadaptés font évidemment exploser le gaspillage, à l’image de la Noradrénaline 8 mg qui n’est pourtant essentiellement préparée qu’en dose micro-diluée. « Soignants, pharmaciens et acheteurs doivent travailler ensemble pour trouver des solutions plus cohérentes, en collaboration avec les industriels », pose l’infirmier.
1 seringue préremplie d’Atropine jetée sur 2
Le poste de la préparation vient ensuite, avec seulement 3 % des interrogés respectant les recommandations de la SFAR qui incite à ne pas préparer les médications à l’avance ! Or, la corrélation est évidente : les plateaux d’induction anticipés accusent un taux de gaspillage oscillant entre 25 % et 30 %. Le constat est plus prégnant encore pour ce qui concerne les seringues d’urgence (Ephédrine, Succinylcholine, Atropine) manuellement préremplies versus leurs versions industrielles : selon les répondants, plus d’une seringue sur deux d’Atropine préparée sur place serait ainsi mise au rebut sans avoir servi.
« Certes, la seringue industrielle coûte généralement plus chère que l’ampoule ouverte in situ. Mais la première ne sera déconditionnée qu’en cas d’utilisation réelle tandis que l’autre sera forcément jetée, ce qui occasionne un surcoût inutile, sur le plan environnemental comme financier », pointe donc Matthieu Roullet-Renoleau. Une étude parue en 2013 sur le recours à l’Ephédrine en seringues préremplies a même chiffré à 70 % les seringues de la molécule ainsi « gâchées », conduisant à 57 % de surcoût même si l’on considère la seringue industrielle autour de 3,50 euros et l’ampoule ouverte in situ aux alentours de 1,60 euro.
60 % des interrogés engagés
La gestion des déchets est également ciblée ici avec, « pour 60 à 80 % des soignants, l’élimination inadéquate d’une seringue partiellement utilisée, et cela même en cas d’une filière DIMED ou DASRI disponible sur site », précise l’auteur de l’étude, déplorant tous ces déchets médicamenteux ainsi enfouis, « quand ils ne finissent pas carrément dans les eaux usées, certains déclarant éliminer leurs résidus médicamenteux dans les auges chirurgicales ! »
Et d’en conclure : « Même si 60 % des interrogés – IBODE, IADE, MAR, cadres de santé… – affirment leur engagement en la matière, la donne ne peut par conséquent changer qu’avec une formation massive des équipes soignantes aux questions du développement durable », l’étude révélant d’ailleurs aussi la forte corrélation établie entre une telle sensibilisation et l’adoption de pratiques moins délétères pour l’environnement.
Changer de gestes
Ces pratiques nouvelles passent par le choix d’une administration différente, « la voie orale par exemple qui évite déjà les flacons , tubulures etc. et dont les bénéfices sont parfois plus nombreux encore, avec par exemple un paracétamol en IV autour de 6,60 euros contre seulement 0,20 euro per os », suggère le professionnel.
Ou encore celui de techniques comme l’hypnose, l’utilisation de casques de réalité virtuelle (VR) ou la musicothérapie, dont des études antérieures ont prouvé l’impact : pour exemple, la dernière diminuerait ainsi de 30 % la consommation de propofol lors des coloscopies et la VR de 95 % les hypnotiques lors des anesthésies par sédation.
En clair, le constat est sans appel et les solutions à portée de mains. Reste à agir collectivement, par la création de comités de gouvernance mettant tous les intéressés autour de la table. Pour enfin renverser celle-ci, au nom de l’environnement.