Les selfs font moins recette

Déjà confrontés au « nomadisme alimentaire », les selfs hospitaliers ont été secoués par la crise sanitaire. Mais le relatif retour à la normale n’a pas été synonyme de retour des convives. De Saint-Étienne à Béziers, en passant par Perpignan, Douai ou Mulhouse, plusieurs responsables de la restauration nous expliquent comment ils comptent attirer à nouveau la clientèle, notamment avec la restauration rapide et la vente à emporter.

© CH Douai

La pandémie a porté un rude coup aux selfs. « Dans l’un de nos selfs, nous sommes passés en plein confinement de 300 à 80 couverts du jour au lendemain, déplore Ludovic Boutel, ingénieur restauration au CHU de Saint-Étienne, il faut dire que sa clientèle était majoritairement composée d’administratifs passés en télétravail ».

Dissociée du self, la restauration rapide proposée depuis 2013 a toutefois permis de limiter la casse puisque sa fréquentation s’est accrue de 20 % : « Au final, sur l’ensemble, nous n’aurons perdu que 11 % des convives. Mais vont-ils revenir ? ». En renouvelant son offre, en proposant plus de plats chauds en restauration rapide, en organisant des animations thématiques au self, Ludovic Boutel espère reconquérir 7 à 8 % de sa clientèle. « Mais les habitudes de consommation ont changé ».

Sortir de sa zone de confort

© Epictura

À Perpignan, la donne était différente puisque le self du CH a carrément fermé pendant six mois, ce qui n’a pas été le cas à Saint-Étienne. Faisant fonction d’ingénieur hôtellerie et logistique, Alexandra Tedesco a alors proposé une formule de vente à emporter : « Nous avons mis deux mois à concevoir un système de “Pop & Pay”, explique-t-elle, ça n’a pas été simple à faire passer, d’autant que nous devions gérer dans le même temps un afflux de dons alimentaires et une chute des livraisons ».

Reprendre une activité normale après une si longue fermeture a demandé beaucoup d’imagination : « Nous ne sommes pas encore revenus à une jauge normale mais force est de constater que les habitudes ont changé, constate également Alexandra Tedesco, nous avons donc monté un groupe de travail pour trouver des solutions ». Ainsi, le self va être relooké pour contrer sa désaffection par les salariés de l’hôpital. « Nous sommes sortis de notre mode de confort en renouvelant notre offre, en élaborant des cartes de saison, en organisant des journées thématiques, des animations comme pour Halloween, confie-t-elle. Mais preuve de la modification des us et coutumes, le Pop & Pay va être pérennisé…

La vente à emporter très tendance

Thierry Sinaud

Responsable restauration hôtellerie du centre hospitalier de Béziers, Thierry Sinaud supervise en temps normal la production de 16 000 repas par semaine. Avant la crise sanitaire le self tournait sur une moyenne de 220 repas par jour avec des pointes à 250 couverts : « Mais le 17 mars, avec le premier confinement, on nous a demandé de fermer le self ». Il propose alors de se tourner vers la formule de restauration à emporter : « Nous disposions du matériel et l’expertise nécessaire, dit-il, alors nous avons transformé le self en mode « take away » sur une amplitude horaire plus importante, de 10h30 à 14h45, afin de fluidifier le trafic et respecter la distanciation sociale ». Aujourd’hui, la formule représente près de 70 % des repas.

Même avec une configuration redevenue normale, le self est moins fréquenté qu’avant, d’où le partenariat monté avec le chef biterrois Pierre Augé : « Classé Top Chef en 2014, dans l’émission diffusée sur M6, il nous a livré au plus fort de la crise entre 250 et 300 repas par jour pour les soignants ». Pour attirer à nouveau les convives vers le self, Thierry Sinaud mise comme à Perpignan sur les journées à thème, les animations, et organise ce qu’il appelle des pauses gourmandes et des jours sucrés. Les passages sont à nouveau orientés à la hausse, mais pour lui la cause est entendue : « C’est fini, quoi que l’on fasse la fréquentation des selfs continuera à baisser au bénéfice de la restauration à emporter ». En attendant, grâce au « take away », la fréquentation totale a bondi de 30 % d’une année sur l’autre !

Une orientation inéluctable ?

Responsable de la restauration du centre hospitalier de Douai, Thomas Lalou se félicite de ne jamais avoir fermé le self, même au plus fort de la crise : « Nous avions déjà une offre à emporter que nous avons développée puisque tous les plats qui sont servis au self sont désormais disponibles à emporter ». Un mode de consommation qui est monté jusqu’à 45 % au plus fort de la crise : « Déjà perceptible auparavant, cette orientation ne fait que se développer plus encore ».

Pierre Salenc

Même constat à Mulhouse pour Pierre Muller, directeur des achats et des services économiques du groupement hospitalier de la région de Mulhouse Sud Alsace : « La vente à emporter a explosé durant cette période, bondissant de 40 %, c’est une orientation inéluctable puisque la désaffection des selfs n’était pas liée à la conjoncture, elle est aujourd’hui structurelle, conclue-t-il, nous ne retrouverons plus les jauges d’avant ».

Seul Pierre Salenc, chargé des services logistiques au CH Arles, qui a mis en place un service « click and collect » midi et soir, n’est pas plus inquiet que ça : « Les agents reprennent leurs habitudes et, en tout cas chez nous, l’activité revient à la normale, même si le click and collect rentre dans les mœurs ».

Le besoin de selfs plus chaleureux et intimes

À Lyon, aux HCL, Jean-Rémy Dumont, président de l’association des ingénieurs hospitaliers en restauration constate lui aussi une baisse régulière depuis plusieurs années, évoquant ce qu’il appelle “le nomadisme alimentaire”. Pas d’autre solution pour lui que rendre plus attractive la restauration en self avec par exemple des salles plus petites, pour répondre à un besoin de “cocooning” qui s’est développé avec la crise alimentaire.

 

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