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« Être chair » : quand le drap hospitalier devient poésie

Le drap, objet sensible et de soin, a été mis à l’honneur par le CHU de Bordeaux dans le cadre d’un travail photographique réalisé par Elena Groud. L’artiste qui a travaillé à la fois dans une unité de soins palliatifs mais aussi à la blanchisserie y expose actuellement ses photos, toutes empreintes de poésie. Une vision esthétique du travail quotidien de ceux qui lavent le linge.

© Elena Groud

C’est en décembre 2023, qu’Elena Groud a posé son regard d’artiste sur une unité de soins palliatifs de l’hôpital Saint-André et sur la blanchisserie du CHU de Bordeaux, en choisissant le thème du drap, témoin de la relation patient/soignant.

© Elena Groud

Cette résidence artistique organisée dans le cadre du dispositif culture & santé soutenu par le ministère de la culture, la Direction régionale de affaires culturelles (Drac), l’ARS et la Région Nouvelle-Aquitaine et par le mécénat de la Ligue contre le cancer Gironde a été réalisée en association avec la scénographe Virginie Linxe.

« Mes interrogations artistiques s’articulent autour de la question de l’intime. Une réflexion liée au mouvement, au corps, au drap, son empreinte et sa trace », explique l’artiste. « Et comment cet intime est donné à voir vers l’extérieur, à l’instar des draps suspendus aux fenêtres. J’ai commencé à prendre en photo les tissus et le drap m’a intéressé de plus en plus. Tout est parti de mon intimité, de mon lit. Le drap symbolise un lien à notre intimité nocturne, personnelle, sensuelle, sexuelle. Un endroit où l’on passe la moitié de notre vie », confie-t-elle.

Le soin est aussi dans le drap

Elena Groud

Son projet, elle l’a déployé à cheval entre la blanchisserie et l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Saint-André. « L’idée étant de prétexter une observation du parcours du drap de la chambre du soigné jusqu’au nettoyage de ce drap, prétexte pour rencontrer les personnes qui travaillent au plus près des malades, dans le soin, tous ces milieux peu visibles. Et aussi les buandiers », poursuit-elle. Il s’agissait de « questionner un geste protocolaire qui déborde vers des récits, des anecdotes, des partages de vie ».

« Moi qui ne connaissais pas la blanchisserie, j’y trouve une poésie immense, notamment par la blancheur. Mais je ne m’imaginais pas une telle usine. J’étais attirée par une esthétique, mais au-delà de la poésie, c’est un travail répétitif, pénible ».

La photographe se déclare marquée par les odeurs et par les sons puisque la blanchisserie est un lieu « extrêmement bruyant ». Mais elle constate aussi « une certaine douceur dans les gestes des agents, dans leur manière de caresser le textile ». Elle se remémore très bien le soin porté par une agente dans sa manière de plier les couvertures pour enfant.  « Le soin est aussi dans le drap », souligne-t-elle.

Paréidolie

© DR

« Les photos qui m’ont le plus marqué sont les photos vides de corps ». Elle les a titré « paréidolie », une manière de reconnaitre une forme familière dans un objet, un paysage. « Le drap amène une certaine poésie dans ses plis, dans ses reliefs. C’est une illusion évocatrice », estime l’artiste.

Dans sa volonté de « repoétiser tous les tissus de l’hôpital », Elena Groud a voulu rassembler « des draps réformés, des pantalons, des vêtements de travail, des torchons, des serviettes… un mélange de tous les sacs de tri. J’ai récolté des tas de tissus et tenté un patchwork ».

Un autre regard sur la blanchisserie

Comment poursuivre ce travail ? Elena Groud veut explorer d’autres aspects du soin. « J’aimerais bien aller en Ehpad, explorer les maternités, les foyers pour enfants placés ». La photographe souhaite «  continuer à interroger ce que cet objet trivial du drap peut révéler de nos parcours de vie. J’ai vraiment envie de retourner à l’hôpital et pourquoi pas la maternité », répète-t-elle.

Depuis septembre dernier, les photos sont exposées à la blanchisserie du CHU et devraient le rester jusqu’en mars prochain. Le projet a permis de transformer le regard porté sur la blanchisserie hospitalière, « créant un sentiment de fierté au sein des équipes ». Il a obtenu un « coup de cœur » du jury des Trophées achat logistique lors des JAL de Montrouge en décembre dernier.

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