Bruno Cazabat : il faut davantage d’ingénierie à l’hôpital

Alors que l’association des ingénieurs hospitaliers tiendra ses 63es journées d’études à Paris du 14 au 16 juin, son président Bruno Cazabat évoque pour nous les différentes problématiques qui seront abordées, de la décarbonation à la co-conception des établissements de santé. Il estime aussi que la complexité croissante des bâtiments nécessite plus d’ingénierie dans les hôpitaux.

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achat-logistique.info : L’association des ingénieurs hospitaliers de France (IHF) fête son 67e anniversaire cette année. Quel est son bilan de santé ? Et pouvez-vous nous rappeler quels objectifs poursuit-elle ?

Bruno Cazabat : « L’association est née en 1956, à l’époque de la reconfiguration du système de santé en France avec la création des CHU (1958). Quelques ingénieurs ont jugé pertinent de la créer, dans une logique de modernisation rapide des établissements de santé et d’échanges entre pairs. Aujourd’hui, nous regroupons environ 300 adhérents.

L’ingénierie à l’hôpital touche à beaucoup de sujets : l’architecture, la construction, les fluides, l’énergie, le chauffage, la climatisation, le traitement de l’air, tout ce qui a trait à la maintenance, à l’exploitation et à la gestion patrimoniale… Depuis quelques années, les infrastructures numériques prennent une part croissante : les réseaux informatiques, la GTC, la téléphonie et la vidéo, ou encore le Wifi. Et personne n’est expert en tout. L’idée c’est donc de partager les expériences des uns et des autres, de faire connaître aux ingénieurs hospitaliers ce qui se fait dans notre environnement et ailleurs et de s’en inspirer.

C’est important car c’est un métier compliqué, avec de fortes obligations de résultats. L’ingénierie hospitalière doit assurer la continuité de service : peut-on imaginer un bloc opératoire sans alimentation électrique ? C’est aussi assurer les conditions d’hygiène et de sécurité pour des milliers de personnes, le bien-être des patients et des agents. C’est ambitieux ! Mais c’est passionnant. Il y a beaucoup de domaines dans lesquels on peut exprimer son talent, mettre en œuvre des actions pertinentes. Et à l’hôpital, on sait à quoi cela sert. »

achat-logistique.info : Décarbonation, adaptation des bâtiments au dérèglement climatique, performance énergétique, modularité des équipements suite à la pandémie, comment votre profession peut-elle affronter d’aussi nombreux et importants défis en si peu de temps ?

Bruno Cazabat : « Si l’on prend l’exemple du Covid, tout le monde a échangé pour trouver des solutions immédiates face à un virus inconnu à haut risque infectieux. On a donc réagi à court terme, avec l’adaptation express des locaux et des procédures, et à plus long terme : comment l’hôpital sera construit demain. À chaque fois, il faut décliner la problématique à plusieurs niveaux d’intervention.

Comment arrêter de tuer notre climat, et accélérer les actions de décarbonations ? La montée des prix de l’énergie nous motive également. Revoir les réglages est un premier niveau d’ingénierie : l’éclairage, la température de consigne, la disponibilité de l’eau chaude, les courbes de chauffe des chaudières, le renforcement des réduits de nuit puisque les blocs ne tournent pas la nuit, ni le week-end…On peut de cette façon obtenir des retours assez rapides.

Le second niveau, c’est de réfléchir aux travaux permettant d’améliorer la performance énergétique. Tout ce qui est renforcement de la GTC (gestion technique centralisée, NDR) : rajouter des points de comptage, des automates pour contrôler les consignes de température. Ce sont des actions qui exigent des investissements, avec un résultat dans un délai raisonnable. Tout le monde peut le faire.

Concevoir l’hôpital de demain est le troisième niveau. Avec une vision globale très en amont en travaillant de façon macro sur sa localisation, l’existant ; en choisissant la meilleure option en fonction de ses contingences, la construction ou la réhabilitation en profondeur, solution moins vorace en matières premières ; et en réfléchissant à un bâtiment le plus proche possible du zéro carbone grâce notamment à la conception architecturale et aux modes de chauffage. Cela veut dire par exemple d’éviter un site en rase campagne, sans modes de transports doux, ou de penser à l’orientation de l’édifice pour qu’il soit chauffé par le soleil en hiver sans être surchauffé en été. »

achat-logistique.info : Considérez-vous que la fonction technique hospitalière a les moyens et les expertises pour faire face ? Avez-vous des soucis pour attirer et conserver des talents, à l’image des professions médicales ?

Bruno Cazabat : « C’est une vraie question. Clairement, il faudrait davantage d’ingénierie à l’hôpital alors que ce dernier s’est complexifié, avec un nombre d’installations techniques très important qu’il faut assurer, et une évolution technologique très rapide. Il faut aussi reconnaître que nous rencontrons des difficultés à faire venir des ingénieurs chez nous. À l’extérieur, certaines personnes ignorent même qu’il y a des ingénieurs à l’hôpital ! Nous cherchons à faire connaître notre métier. Une école d’ingénieurs aura par exemple un stand aux journées IHF.

Les jeunes générations cherchent souvent des postes qui ont du sens. Et c’est le cas à l’hôpital. Mais les rémunérations, inférieures aux salaires du marché, sont un souci. En choisissant un établissement de santé, un ingénieur sorti d’école peut espérer entre 2000 et 2400 euros nets par mois. Il y a une réforme de notre statut qui se prépare mais c’est urgent. »

achat-logistique.info : Vous avez lancé à la fin 2022 un groupe sur la transformation écologique dans l’univers de la santé. Que va-t-il en sortir ?

Bruno Cazabat : « L’objectif est d’identifier et de rassembler les expériences réussies des uns et des autres, qu’elles soient modestes ou importantes, avec leurs avantages et leurs inconvénients, puis de les faire connaître dans notre réseau et au-delà. Et ainsi permettre à certains de ne pas partir du point zéro, mais d’avoir des éclairages sur ce qui peut se faire à l’hôpital en matière d’économies d’énergie et de conception durable. Un livrable est prévu fin 2023. »

achat-logistique.info : Les hôpitaux étrangers rencontrent les mêmes problématiques et les journées IHF vont accueillir la 10ème Conférence européenne de l’ingénierie hospitalière. De quelles expériences ou innovations, la France pourrait s’inspirer ?

Bruno Cazabat : « Ce n’est pas meilleur ou pire. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment nos voisins approchent différemment un sujet. Comme les Belges qui ont livré des hôpitaux performants ces dernières années. Ils font remonter l’architecture très en amont vers la programmation. On aura aussi aux journées un retour d’expérience italien avec des contrats de performance énergétique à Milan. Ou une approche globale d’économie d’énergie à Madrid. Ou encore l’impact COVID sur les bâtiments… »

achat-logistique.info : On parle beaucoup des bénéfices du numérique et de l’intelligence artificielle dans le secteur de la prise en charge du patient ou la détection des pathologies. Que peuvent apporter ces technologies dans le domaine de la conception et de la maintenance d’un hôpital ?

Bruno Cazabat : « Concernant l’IA, s’agissant du domaine technique, on n’y est pas encore. Il y a quelques expérimentations comme le suivi très fin des consommations qui essaie de s’auto-adapter en fonction des conditions et détecte des anomalies et, le cas échéant, envoie une alerte.

Côté numérique, aux HCL, nous travaillons par exemple en utilisant le BIM depuis plusieurs années. La plupart de nos bâtiments disposent de maquettes en 3D enrichies au fur et à mesure des constructions ou rénovations. Et nous commençons à les utiliser pour la maintenance opérationnelle, avec une cible en réalité augmentée des installations critiques des blocs ou des plateaux techniques, En effet la rapidité d’intervention et la disponibilité des plans d’installation peuvent avoir des conséquences vitales. »

achat-logistique.info : La co-conception avec les usagers/utilisateurs est également au menu des journées IHF. Que pensez-vous de cette nouvelle approche ?

Bruno Cazabat : « La construction d’un hôpital a été longtemps une équation entre les besoins du corps médical, le maitre d’ouvrage qui doit fixer un programme, et le gestionnaire qui fait la part des choses entre le besoin, le coût de l’investissement et puis le résultat attendu. Un ménage à trois. La chose relativement nouvelle sur la dernière décennie, c’est l’arrivée d’un 4e intervenant qui est le patient et son expression des besoins au-delà des soins. À quoi il faut ajouter le concept de qualité de vie au travail.

C’est une démarche très positive, même si cela complique l’équation. Des techniques, comme le lean management ou le lean design, vont dans ce sens. Il faut noter, trier les remarques pertinentes, et gérer les demandes antagonistes ou contradictoires. Cependant, faire remonter les avis utilisateurs au sens large sur ce qui sera leur quotidien est une très bonne chose. Les ingénieurs n’ont pas la science infuse. »

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