Produire et livrer 40 000 repas supplémentaires par an : le beau défi du CH Alpes-Isère

Depuis le 1er janvier, la cuisine centrale du CH Alpes-Isère relève un nouveau défi : préparer et délivrer 40 000 repas supplémentaires par an à destination des sites extrahospitaliers de l’établissement, répartis sur l’ensemble du département de l’Isère. Une intégration rendue possible par la mobilisation de nombreuses compétences, et bénéfique à bien des endroits, comme nous l’explique la dynamique directrice du pôle ingénierie-logistique-sécurité du centre hospitalier, Hélène Sol.

© CHAI

achat-logistique.info : Jusqu’au 31 décembre dernier, les repas des sites externalisés de votre établissement étaient préparés et livrés quotidiennement par un traiteur. Pourquoi avoir décidé de réinternaliser cette prestation au sein de l’hôpital ?

Hélène Sol : « Avoir recours au traiteur, c’était par habitude, ou par facilité. Mais ce fonctionnement n’était pas idéal. Les repas proposés n’étaient pas toujours adaptés aux besoins ou aux goûts spécifiques des patients, particulièrement des enfants, et pas assez copieux. Les soignants se retrouvaient à préparer eux-mêmes des repas de substitution, des pâtes par exemple. C’était un peu le monde de la débrouillardise.

Nous sommes gestionnaires d’argent public, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser passer les dépenses en regard d’une prestation inadaptée. Quand nous nous sommes rendu compte que les soignants n’étaient pas satisfaits et étaient obligés de compenser, nous nous sommes demandé s’il ne serait pas plus intéressant d’internaliser la fabrication des repas de toutes les structures de soins de l’Isère dépendantes du CH, en sus des 1500 repas fabriqués par jour pour l’hôpital central. »

achat-logistique.info : Comment avez-vous mené cette réflexion ?

Hélène Sol

Hélène Sol : « Grâce au contrôle de gestion achat, et parce que notre cuisine centrale est entièrement connectée, nous savons exactement quel est le coût de chaque plat préparé en cuisine : quelle part de personnel, de bâtiment, d’électricité, d’eau, de denrées alimentaires, de machines amorties… Nous avons calculé le coût global de la prestation externalisée en prenant en compte les tarifs du traiteur, le coût des plats de remplacement, ainsi que tous les coûts induits. Et nous avons comparé ces coûts.

En faisant cette démarche, nous avons réalisé que produire 40 000 repas supplémentaires par an représentait un coût marginal extrêmement faible. En particulier, comme les charges de personnel en cuisine représentent 50 % du coût d’un repas, augmenter la production de repas permet de bénéficier d’économies d’échelle et de limiter l’augmentation prévisionnelle du coût du repas lié à la hausse des prix des denrées alimentaires. Au final, en prenant en compte le coût total de production du repas et de sa livraison (main d’œuvre et camion frigorifique), nous devrions économiser 6 centimes d’euro par repas par rapport au traiteur, tout en gagnant en qualité. »

achat-logistique.info : Qui a participé à l’élaboration de ce nouveau plan de fonctionnement ?

© CHAI

Hélène Sol : « Durant toute l’année 2022, nous avons réuni les soignants et les cadres de santé, avec un taux de participation très élevé, en nous entourant de toutes les compétences du pôle ILS : achats, logistique, cuisine, CDG achats, diététiciennes… Toutes les structures de soins se sont très fortement mobilisées. On a réuni cinq comités utilisateurs pour trouver un fonctionnement qui convienne à tous. Les soignants se plaignaient de la prestation…

En la reprenant, en intégrant leurs souhaits dans la réflexion, nous aurons également davantage de satisfaction. Ce projet a d’ailleurs été présenté au CLAN de l’hôpital le 17 janvier et il a été plébiscité : la maison des usagers a même reçu des courriers de patients satisfaits. Le comité continuera de se réunir en post projet pour bilanter, améliorer et ajuster la prestation. »

achat-logistique.info : Le CHAI est un établissement psychiatrique. Certaines spécificités thérapeutiques ont-elles dû être intégrées dans ce processus de réinternalisation ?

Hélène Sol : « En psychiatrie, le repas fait partie du soin. Les menus sont élaborés par les diététiciennes et le responsable restauration sur 8 semaines tournantes, où les règles du GEM-RCN sont suivies à la lettre. Les soignants peuvent ajuster les repas via le logiciel Datameal, avec toutes sortes de déclinaisons disponibles, pour tenir compte des aversions et des prescriptions médicales (des menus tout en blanc par exemple), incluant le mixé, le mixé lisse…

Les déclinaisons sont établies par des diététiciennes pour rester conformes, mais variées et équilibrées. Les cuisiniers peuvent élaborer jusqu’à huit déclinaisons par plat principal, et parfois même des plats uniques. Le tout s’intègre dans le plan de production. Tout cela, nous le faisions pour l’hôpital central, et nous l’avons mis en place pour l’extrahospitalier. »

achat-logistique.info : Peut-on proposer de la qualité à si grande échelle ?

© CHAI

Hélène Sol : « Parce que c’est important pour les patients, nous faisons en sorte que les repas préparés par notre cuisine soient goûteux et bien assaisonnés. Nos cuisiniers font une vraie cuisine, certes en grande quantité, mais avec une logique du « fait maison » avec des produits de qualité. Nous favorisons la cuisson lente basse température, la cuisson de nuit…

Nous achetons uniquement de la viande labellisée d’origine française, des légumes et des fruits de saison, et choisissons au travers de nos marchés des mets de qualité. Nous fabriquons nous-mêmes par exemple des plats comme le hachis Parmentier, les lasagnes, le chili con carne, les endives au jambon… »

achat-logistique.info : Outre l’élaboration des repas, vous devez également les livrer sur les différents sites extrahospitaliers, en liaison froide. Là aussi, il s’agit d’un beau défi logistique, quelles difficultés avez-vous dû contourner ?

Hélène Sol : « Le CHAI ne dispose que d’un seul camion frigorifique qui livre l’intrahospitalier deux fois par jour. Impossible donc de couvrir les autres sites sur une journée, d’autant que le camion, classé Crit’Air 3, ne peut plus circuler dans la ville de Grenoble où se trouvent certains des sites.

Il a été comparé, en amont, le coût de la livraison réalisée en propre par l’hôpital, nécessitant l’embauche de deux agents logistiques et la location d’un camion frigorifique, avec une prestation logistique externalisée, au travers d’un benchmark auprès de plusieurs transporteurs.

Le calcul est en faveur de la prestation de livraison externalisée qui minore le coût du repas de 1,25 €. Nous avons donc décidé de rédiger un marché public pour réaliser une mise en concurrence, au dernier trimestre 2022, et nous avons obtenu cinq réponses. C’est le groupe La Poste qui a remporté le marché : leur prestation est très adaptée à nos besoins, leur organisation est très au point au niveau logistique. »

achat-logistique.info : Cela permettrait-il d’ouvrir des perspectives ?

© CHAI

Hélène Sol : « Forts du succès de la reprise des repas pour les structures dans le département, nous sommes déjà sollicités par la Poste pour produire pour de nouveaux sites, lycées et maisons de retraites. Nous allons réfléchir… Cela passera par l’embauche de personnel. Nous y croyons !  Suite à des départs à la retraite, nous nous sommes démenés pour recruter malgré le contexte compliqué sur le secteur de la restauration, et sommes quasiment à l’effectif complet, nous avons embauché la dernière cuisinière avant-hier.

Nous arrivons à faire envie à des jeunes et des moins jeunes, et à fidéliser : nous avons peu de turn-over. Grâce à l’informatisation totale des process de production, à l’achat de matériel innovant et connecté, de tunnels de lavages performants et économiques, nous avons débarrassé le personnel de cuisine des tâches pénibles sans valeur ajoutée et les avons recentrés sur du travail plus noble ; ils se plaisent CHAI nous ! »

achat-logistique.info : Quel est le prochain défi que vous aimeriez relever au sein du pôle ILS ?

Hélène Sol : « Trouver une forme de marchés publics valide pour proposer des spécialités et sourcer des producteurs locaux. Nous sommes à la montagne où il y a beaucoup de fermes : nous aimerions profiter de cette proximité pour proposer des fromages et des yaourts, de la viande, des fruits et légumes d’exploitations proches, à la fois aux patients, et au self du personnel. »

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *