Courrier : un acheteur affranchi en vaut deux

Faute de politique courrier, les établissements de santé continuent de dépenser beaucoup d’argent, près de 105 millions d’euros, pour l’affranchissement de leurs plis. Pour ne pas finir timbré face à la hausse régulière des tarifs postaux, il existe des solutions. Directeur d’hôpital, Mathias Zomer, qui a étudié la question, nous éclaire sur les moyens d’obtenir de meilleurs prix et de réduire les volumes de courriers.

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750 000 euros annuels en moyenne. C’est le montant des dépenses d’affranchissement estimé par Mathias Zomer, grâce à une enquête menée auprès de 26 CHR et CHU métropolitains (hors AP-HP, AP-HM et HCL) dans le cadre de son mémoire EHESP d’élève-directeur publié à l’automne 2021. Soit environ 105 millions lorsqu’on extrapole à l’ensemble des établissements de santé. Autrement dit des gisements de gain considérables d’autant qu’il s’agit « d’économies intelligentes » qui ne nuiront pas à la qualité des soins, souligne Mathias Zomer, aujourd’hui directeur adjoint au CHU de Reims et au CH d’Epernay.

Un poste de dépenses longtemps délaissé

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Pendant des lustres, la problématique du courrier est restée une « belle endormie ». En dépit de l’augmentation constante des tarifs postaux : plus de 30 % entre 2014 et 2020. Une hausse qui va se poursuivre, toujours à hauteur de 5 % par an jusqu’en 2025, à en croire le rapport de l’ancien député Jean Launey. Résultat, il a fallu attendre la 4e vague Ar Men pour que la thématique émerge.  Un désintérêt expliqué en grande partie par l’absence de politique courrier. « Pendant des années, les établissements ont délaissé ce poste de dépenses. La prise de conscience est récente. »

Comment alors freiner ses dépenses d’affranchissement ? Il est possible d’une part, de chercher à optimiser le cout moyen du pli envoyé. Les solutions sont connues. Généraliser le tarif vert et limiter au maximum le recours aux modes onéreux : lettre prioritaire – dématérialisée à partir de 2023 par la Poste – et le recommandé avec accusé de réception, lequel pèse 5 % de la facture alors qu’il représente moins de 1 % du volume, pointe Mathias Zomer.

Courrier industriel et imprimante virtuelle

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S’organiser pour passer en mode envoi en nombre ou envoi industriel est une autre piste pour réduire la note. Certes, certaines exigences sont requises (imposition d’un volume a minima de courriers, poids limité, emplacement très précis du pavé adresse…). Mais le jeu en vaut la chandelle, vu les écarts de prix.

Cette optimisation sera favorisée par la mutualisation à l’échelle GHT et par le recours à une « imprimante virtuelle ». « Les courriers ne sont plus édités sur place par les services, mais transmis à un centre éditique, interne ou externalisé,  qui prend en charge l’impression, la mise sous pli, et l’affranchissement », explique Mathias Zomer. Treize CHU, parmi lesquels Dijon, Grenoble et Lille, sont passés au courrier industriel.

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L’autre moyen, c’est de réduire le volume du courrier. D’autant que tous ces envois génèrent d’autres coûts (impression, papier, mise sous pli, temps agent…). Là encore, plusieurs techniques existent : envois groupés (regroupement des courriers adressés à un même destinataire, la CPAM ou l’ARS) ; arrêt de l’affranchissement des plis internes et la remise directe, par exemple pour les fiches de paie ; vérification des bases d’adresses pour réduire le nombre de NPAI ; voire acheminement direct par coursier. « Dans certaines agglomérations, des prestataires proposent ce service. En 2020, un éco-pli en nombre coûtait 60 centimes, contre 0,45 à 0,47 centimes en utilisant un coursier », complète Mathias Zomer.

Dématérialiser est plus compliqué qu’il n’y paraît

Reste la dématérialisation. Sur le papier, elle était censée faire disparaître l’envoi de courriers physiques. En réalité, ce n’est pas si simple, prévient le spécialiste du sujet. Certaines transmissions, comme les certificats de décès, ne peuvent pas être numérisées. « Derrière des pratiques jugées archaïques, il y a aussi la question du public visé et des contenus », poursuit Mathias Zomer. Les documents comportant des données de santé ou des données personnelles adressés aux professionnels de santé et aux patients doivent impérativement passer par des canaux protégés (messageries et portails sécurisés). Le déploiement de « Mon espace santé » pourrait à terme changer la donne.

Mathias Zomer

Les convocations pourraient être numérisées plus facilement. « Mais il y a une demande supposée – de la part des services – que le patient a besoin d’une convocation papier comme pense-bête ou pour pouvoir se garer sur le parking de l’hôpital. Il faut aussi penser aux personnes âgées et à tous ceux qui sont touchés par l’illectronisme. » Conséquence, même en cas de solutions numériques (rendez-vous par mél ou SMS, compte-rendu déposé sur une plateforme), lesquelles ne sont pas gratuites et doivent être prises en compte dans le calcul des coûts, note au passage Mathias Zomer, on maintient l’envoi par courrier.

« Les fiches de paie sont un cas intéressant », poursuit-il. Les salariés de certains CHU peuvent déjà les visualiser sur leur smartphone ou leur ordinateur. Tout en continuant à les recevoir sous enveloppe. « Cela s’explique. L’établissement doit non seulement s’équiper d’un portail RH, mais aussi d’un coffre-fort numérique pour le stockage, solution qui doit être choisie avec soin et qui nécessite d’être interopérable », argumente Mathias Zomer.

Résistance au changement : ne pas lésiner sur la communication

Penser que seule la technique pourra changer les choses est utopique. Car modifier la politique courrier implique un changement de pratiques. Pour mettre toutes les chances de son côté, « il est impératif d’embarquer toutes les parties prenantes, au premier chef les vaguemestres, les secrétariats, autres éléments clefs, mais aussi la DSI, les cadres administratifs et les cadres de santé, de mener la démarche en mode projet, et de ne pas lésiner sur la communication pour mettre en exergue les bénéfices de l’opération, qu’il s’agisse du personnel, des professionnels de santé ou des patients. »

Gérald Navrotski, le chef vaguemestre (au centre), et son équipe

Des efforts qui seront récompensés.  Grâce aux multiples actions entreprises et au travail fourni par son chef vaguemestre, Gérald Navrotski, et son équipe, le CHU de Reims a ainsi économisé près de 200 000 euros par rapport à la trajectoire tendancielle de son budget affranchissement entre juillet 2020 et juillet 2021. Avant même le passage au courrier industriel.

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