Marchés passés en urgence : les justificatifs à conserver

Nombre d’acheteurs ont été obligés de réagir rapidement pour lutter contre le virus et fournir à grande vitesse aux services matériels et équipements en passant des marchés sans publicité ni mise en concurrence dans le cadre de l’urgence impérieuse. Me David Hasday, avocat associé au cabinet HDLA, leur recommande de mettre de côté des pièces justificatives toujours bienvenues en cas de contrôle.

© Epictura
Avec la survenance de la pandémie du COVID-19, une situation inédite s’est présentée à tous à laquelle il a fallu faire face. La commande publique en fut affectée au premier chef, s’agissant des achats hospitaliers, car il a fallu répondre dans l’instant à l’approvisionnement d’équipements et de produits médicaux dans une proportion de surcroît démultipliée en passant parfois des marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables.

Mais l’exigence d’actions et de réponses immédiates ne justifie pas automatiquement l’« urgence » permettant de s’affranchir du cadre légal et règlementaire de la commande publique.

En cas de contrôle a posteriori (i), il est important de conserver des éléments permettant de justifier ce type d’achats de « gré à gré » (ii).

i) Quels contrôles ?

• Contrôle des comptes et de la gestion

Le contrôle des comptes et la régularité de la gestion de l’établissement public hospitalier par la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes, que le directeur de l’Agence régionale de santé peut déclencher face à une situation budgétaire dégradée (art. L. 6143-3 & L. 6143-3-1 du code la santé publique), peuvent déboucher sur des observations et des recommandations. En cas de fautes de gestion, des poursuites contre le comptable public sont possibles devant la Cour des comptes ou contre l’ordonnateur devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

Toutefois, il est dérogé à la responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics pour les actes pour lesquels est établi un lien de causalité entre la crise sanitaire et le manquement constaté pour la période du 12 mars au 10 août 2020 (art. 1er de l’ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics modifiée par l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire ; voir également : art. 60-V de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.)

• Contrôle juridictionnels

Le juge administratif est susceptible d’être saisi, notamment par des opérateurs économiques qui n’auraient pas été sollicités ou dont les offres n’auraient pas été retenues, tant en référé contractuel que dans le cadre d’actions au fond dirigées contre le contrat et/ou en contentieux indemnitaire. En cas de favoritisme révélé par l’attribution directe du contrat à un opérateur, le juge pénal peut également être saisi.

ii) Quels éléments justificatifs à conserver pour les achats sans publicité ni mise en concurrence ?

Principe : mis à part les marchés inférieurs à 40.000 € H.T, seule une situation d’« urgence impérieuse », qui nécessite une réponse immédiate, permet de passer de tels marchés dès lors qu’elle résulte de phénomènes extérieurs (i.e. : non imputables à l’acheteur), irrésistibles et radicalement imprévisibles qui rendent impossible le respect des délais minimaux requis par les procédures formalisées ou, selon nous également, les règles et délais « allégés » des MAPA, même si le texte ne le précise plus aujourd’hui.
Pour la Commission européenne, la crise sanitaire relève bien d’une urgence impérieuse : « Il ne fait aucun doute qu’il faut satisfaire le plus rapidement possible aux besoins immédiats des hôpitaux et des établissements de santé (fournitures, services et travaux publics) ».

En pratique : il doit d’abord être justifié que les marchés ou accords-cadres en cours d’exécution ne permettaient pas de répondre à la demande d’achat en raison d’une quantité disponible insuffisante de produits compte tenu d’un besoin au volume aussi imprévisible que démultiplié et de délais de fourniture trop longs ; que leur suspension aura été prononcée afin de pouvoir s’approvisionner ailleurs (notamment en application de l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19).

Justification ensuite qu’il s’agissait exclusivement de répondre à des besoins immédiats strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence ; que les délais de consultation, même réduits, ne pouvaient y répondre ; que la soudaineté du besoin n’a pu être anticipé dans les achats programmés ; que la hausse mondiale de la demande d’approvisionnement, la rareté de l’offre et la pénurie de certains équipements et produits n’ont pas permis une mise en concurrence et nécessitaient de réaliser l’achat sans délai.

David Hasday

L’attribution directe à un opérateur économique étant l’exception, il est impératif de conserver la preuve, qu’un seul ou que quelques-uns seulement ont pu être en mesure de répondre dans les délais imposés par l’urgence impérieuse. Il pourra alors être conservé, par exemple sous forme de fiches récapitulatives, la description de la nature du besoin et ses caractéristiques, les éléments justifiant un éventuel « sourcing » préalable, même succinct, auprès de quelques opérateurs ou les demandes de devis ; à défaut, l’étude et la comparaison de leurs catalogues en gardant trace des copies d’écrans des consultations de leurs sites Internet, les raisons du choix du cocontractant (par ex. un seul opérateur a répondu ou un seul produit était disponible au moment du besoin ; en cas de plusieurs offres, que les produits et/ou quantités disponibles et les délais de livraison de l’attributaire étaient les mieux adaptés ; etc …).

Si plusieurs commandes ont été passées au même opérateur, il en sera également justifié par la rareté de l’offre.  Pour justifier que l’achat fut d’un montant et d’une durée strictement nécessaires pour la gestion de la crise sanitaire et à la satisfaction des besoins urgents, il en sera fait la comparaison avec les conditions d’exécution normales des marchés avant la crise sanitaire.

Enfin, l’acheteur prendra soin d’établir un rapport individuel récapitulant ces éléments et venant justifier le lien de causalité entre l’évènement imprévisible et l’urgence impérieuse, dont la Commission européenne précise dans sa communication du 1er avril 2020 que « s’agissant de la réponse aux besoins immédiats des hôpitaux et des établissements de santé dans un délai très court, le lien de causalité avec la pandémie de COVID-19 ne peut être raisonnablement mis en doute », (Commission européenne, communication du 1er avril 2020, 2020/C 108 I/01, précitée).
Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *