Comment gérer les prix en période de crise

L’épidémie de coronavirus a provoqué, pour nombre de contrats, un bouleversement de leurs conditions d’exécution, avec une envolée des prix liée à la pénurie, aux complications logistiques et au confinement. Le cadre réglementaire actuel qui laisse l’acheteur plutôt démuni devrait l’inciter à prévoir, pour ses prochains marchés, une clause de réexamen « imprévision », comme l’a démontré une conférence organisée le 1er mars par le Resah.

© Epictura

Hausse de 2300 % des FFP2 au CH Centre Bretagne, recours multiplié par 10 pour les charlottes et les surblouses au CH Beauvais, utilisation des masques chirurgicaux multipliée par 4 aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. L’envolée vertigineuse de la consommation de certains produits en France et dans le reste du monde pendant la première vague a provoqué des pénuries et des ruptures d’approvisionnements sur des segments considérés jusqu’alors peu risqués. Ainsi qu’ une inflation galopante des factures. Au CH du Pays d’Aix, l’augmentation des prix unitaires s’est envolée : + 287 % pour les blouses, jusqu’à presque + 2 000 % pour les masques (lire notre article du 25 novembre 2020 https://achat-logistique.info/fonction-achat/covid-les-hopitaux-sortent-les-calculettes/).

Un cadre réglementaire pas totalement adapté aux circonstances

Un effet domino qui pose la question de l’adéquation du cadre juridique. « Le droit des marchés n’a pas été créé dans un environnement de crise », a constaté Charles-Edouard Escurat, DGA du Resah, à l’occasion d’une conférence en ligne organisée le 1er mars dernier. Car les juristes disposent d’un corpus de textes fondés sur une « économie pacifiée », avec des mises en concurrence effectuées dans un cadre stable et prévisible et un principe d’intangibilité des prix.

Que trouve-t-on actuellement dans la boîte à outils de l’acheteur ? La force majeure (article L2195-2 du CCP) permet à l’acheteur de résilier le marché en cas d’évènement extérieur, imprévisible et irrésistible. « La pandémie de Covid-19 semble pouvoir réunir les trois hypothèses, mais pas de façon généralisée car il faut se poser la question, contrat par contrat, et apprécier l’impact de l’épidémie sur leur exécution », a rappelé l’avocat Aymeric Hourcabie.

La circonstance d’un simple surcoût de l’exécution ne caractérise pas, en principe, la condition d’irrésistibilité. Pour autant, le Conseil d’Etat a admis que le bouleversement de l’économie du contrat, par son ampleur et sa durée, peut en justifier la résiliation. Mais si le dispositif permet de délier les parties, il ne règle ni la question de l’approvisionnement, ni des tarifs puisque l’acheteur devra trouver un autre fournisseur.

Indemniser ne suffit pas forcément

Autre solution : la théorie de l’imprévision, fondée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 mars 1916 et codifiée (article L.6 du CCP). Elle permet, afin d’assurer la continuité du service rendu, d’indemniser le co-contractant, « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat ». Autrement dit lorsque la rémunération du titulaire du marché ne lui permet plus de couvrir ses charges.

Mais cette aide financière, limitée et temporaire, a ses limites. En période de pénurie mondiale, la simple promesse d’une indemnisation couvrant une partie de son déficit aura sans doute du mal à convaincre un fournisseur de donner la priorité à l’un de ses clients… Bref, l’acheteur se retrouve plutôt démuni, d’autant que les nouveaux textes (ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 et loi ASAP) ne contiennent pas de dispositifs à l’ajustement, temporaire ou définitif, des prix, a observé Me Hourcabie.

Pouvoir renégocier son contrat

Alors quelle solution pour mieux encadrer les aléas de prix en période de crise ? Le plus simple consiste à renégocier le contrat avec un changement tarifaire. L’équipe juridique du Resah a eu l’idée de s’appuyer sur le cadre civiliste pour fonder juridiquement cette renégociation. En effet, l’article 1195 du Code Civil indique que « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. » Plus souple, le texte fait clairement allusion au renchérissement du coût des prestations, sans faire référence à la notion de bouleversement de l’économie du contrat qui nécessite d’être démontrée.

Cette approche n’est pas si iconoclaste puisque la DAJ indique dans sa fiche relative aux conséquences de la crise sanitaire sur la commande publique que « les entreprises peuvent également invoquer l’imprévision, lorsqu’elles sont confrontées à une situation mettant en péril l’équilibre économique des contrats. Cela leur permet, sauf clause contraire, de solliciter une renégociation des contrats concernés. »

Un principe inspiré du Code civil

Selon Angélique Dizier, expert juridique du Resah, le juge administratif ne serait d’ailleurs pas forcément choqué par cette pratique parce qu’il applique déjà certains principes inspirés du Code civil, notamment pour la notion de force majeure, la garantie des constructeurs ou la modulation des pénalités de retard.

Cette renégociation pourrait être actionnée dans le cas des circonstances imprévues (article R. 2194-5 du CCP). Ce qui est intéressant, dans cette hypothèse, c’est qu’elle peut être utilisée pour régler des conséquences financières d’une situation qui est en réalité définitive, par exemple des chantiers qui vont durer six mois avec des surcoûts liés à la crise, a mis en avant Virginie Schirmer, directrice juridique du Resah.

L’alternative de la clause de réexamen « imprévision »

Cependant, la formule ne peut s’appliquer de manière universelle puisque l’augmentation ne peut dépasser 50 % du montant du marché. Le recours à l’article R.2194-7 du CCP, qui ne comporte pas de plafond, est envisageable puisque les surcoûts engendrés par la crise sanitaire ne pouvaient être prévus, qu’il ne s’agit pas de modifier l’objet du marché et que la modification contractuelle vise à rétablir l’équilibre économique du marché.

Toutes ces subtilités juridiques devraient inciter les acheteurs à réfléchir sur l’opportunité d’intégrer, à l’avenir, une clause de réexamen « imprévision » dès le départ, en cas de besoin. Naturellement en précisant les hypothèses dans lesquelles elle se déclenche (évènement postérieur à la conclusion du contrat et impossible à anticiper, fixation d’un % de la hausse des coûts de l’exécution…). Mais cette clause, qui cessera de s’appliquer dès le retour à la normale, sera de toute façon soumise à deux conditions : le titulaire devra continuer à assurer ses obligations et remettre des éléments capables de démontrer que le recours à la clause est justifié.

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *