IA : des impacts à ne pas négliger

Téléconsultation, chirurgie assistée, robots soignants… Si le déploiement de l’intelligence artificielle entraîne d’indéniables effets sur les soins, il joue aussi sur l’organisation et les métiers. Des incidences à anticiper, prévient le « living lab » spécialisé sur le sujet, créé par l’université de Tours, le CHRU et VYV 3 Centre Val de Loire.

©Ehpad La Charmee

Du diagnostic au traitement en passant par l’opération, les thérapies non médicamenteuses ou le suivi des patients, l’intelligence artificielle (IA) fait irruption auprès des professionnels de santé. Tous sont concernés, jusqu’aux fonctions supports, dont 40 000 à 80 000 emplois pourraient faire l’objet d’automatisation, selon la note de David Gruson publiée en 2019 par l’Institut Montaigne en 2019.

La même année, le « think tank » #Leplusimportant évaluait à 45 % les gains de productivité potentiels dégagés d’ici à 2030 pour près de 80 % du secteur : aides-soignants, infirmiers, cadres de santé, pharmaciens, généralistes, spécialistes… Une optimisation génératrice d’économies et levier d’une meilleure qualité de vie au travail… À condition d’en anticiper tous les enjeux.

Sous la révolution les évolutions

« Ces nouvelles technologies impactent les pratiques et compétences comme les relations et les interactions. En se dotant de tels outils, les établissements doivent avoir à l’esprit qu’ils modifient aussi les process de travail et redéfinissent l’organisation », déclare en effet Jean-Philippe Fouquet, sociologue du travail à l’Université de Tours.

© Usetech’ Lab

Avec VYV 3 Centre Val de Loire et le CHRU de Tours, l’ingénieur de recherche a d’ailleurs souhaité y voir plus clair. Ainsi ont-ils créé ensemble « Usetech’ Lab », 1er « living lab » français à étudier – en conditions réelles (in situ ou en simulation) et de manière 100 % collaborative – l’introduction de ces innovations dans le secteur de la santé à partir d’un angle SHS (Sciences Humaines et Sociales).

« Pour accompagner la conception d’outils les plus adaptés possibles aux besoins des publics, l’idée est d’intégrer à la réflexion l’expérience du professionnel, dans sa relation à l’outil mais aussi dans sa relation avec ses collègues et les résidents, ainsi que l’expérience des autres niveaux de participation et / ou de gestion (dirigeants, encadrement…) », expose l’universitaire.

L’IA, un outil dans la bergerie

séance de simulation avec un robot compagnon ©Usetech’ Lab

Directrice de l’Ehpad La Charmée à Châteauroux, Chantal Dubé a testé plusieurs technologies dans ce cadre, certaines retoquées pour leur inadaptation ou manque de maniabilité, d’autres plébiscitées, comme un robot compagnon. « Cette plateforme de mise en relation à distance permettant aux seniors de se rencontrer ou de communiquer avec leurs proches, renouvelle aussi le travail des animateurs – et leur motivation – avec des propositions d’activités inédites, des challenges inter-établissements, des visites de musées ou encore des cours de gym », explique la dirigeante.

Mais attention, poursuit-elle, « l’outil aux activités préprogrammées ne peut s’employer que dans le cadre d’un planning préétabli, fonction des disponibilités des personnels. Il impose donc une parfaite coordination des équipes ». Enfin, il peut être utilisé par tout autre professionnel que les animateurs, « ce que certains vivront comme une opportunité pour monter en compétences, mais d’autres comme un déclassement, voire une disparition annoncée de leur métier », pointe Jean-Philippe Fouquet.

L’échange plutôt que les changes

L’exemple vaut pour bien d’autres métiers. « D’où l’importance de réfléchir ensemble à la place donnée aux robots et celle conservée des professionnels pour repositionner les métiers dans le « bon sens », précise Isabelle Sabadotto, directrice « communication et recherche » pour VYV3 Centre Val de Loire et coordinatrice de Usetech’Lab.

À la tête de l’Ehpad La Roseraie de Saint-Sever (Calvados), Dina Abidos imagine ainsi un robot qui, « chargé des tâches les plus répétitives, voire rébarbatives, comme faire le tour des chambres pour récupérer le linge sale, laissera aux soignants le temps pour se recentrer sur le soin et l’échange. » Chantal Dubé abonde : « Il peut permettre de réorienter le contenu des métiers, d’un côté en faisant des aides-soignants plus que des « aides toilette » et, de l’autre, en promouvant les professionnels de l’animation en animateurs coordinateurs. »

Communication, appropriation, formation

Glissement de tâches, nouvelles missions, formations… En introduisant l’IA dans l’organisation, l’acheteur va donc peser sur tout l’écosystème. Pour le meilleur ou le pire. « Afin que l’intégration de ces outils rime avec adhésion et appropriation, il importe de partir du terrain, de repenser les interactions entre les collectifs de travail, d’envisager le travail des équipes dans une démarche de transversalité pour assurer une continuité du soin… », énumère Jean-Philippe Fouquet. Un travail de fond à déployer avec les ressources humaines. Pour un accompagnement toujours plus qualitatif des personnes en situation de fragilité et une plus-value professionnelle, porteuse de sens et de qualité de vie au travail.

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