Dominique Legouge : la fonction achat va devenir de plus en plus stratégique

Une semaine après la tenue des journées de l’achat hospitalier, Dominique Legouge, directeur général du Resah, nous donne son sentiment sur l’évolution des achats dans le secteur de la santé. Selon lui, le caractère stratégique du métier, levier essentiel des politiques publiques, va s’affirmer. Confrontée à une complexité grandissante, la fonction aura besoin d’une mutualisation renforcée des moyens et des expertises et de la mise en réseau des directions achat.

achat-logistique.info : Presque dix ans après le démarrage du programme Phare, quel regard portez-vous sur le mouvement de professionnalisation des achats hospitaliers ?

Dominique Legouge : « La fonction achat à l’hôpital a beaucoup progressé grâce au programme Phare qui a été lancé, il y a maintenant une dizaine d’années et à la création des GHT, qui, elle, est plus récente. Le Resah, à travers sa centrale d’achat et son centre de ressources et d’expertise, a été aussi un contributeur très important de la professionnalisation et de la mutualisation des achats hospitaliers. Il en va de même, bien entendu, de la centrale d’achat de nos collègues d’UniHA. »

achat-logistique.info : Aurait-on pu aller plus vite ?

Dominique Legouge : « Peut-être, mais je pense que l’on va assister dans les prochaines années à une accélération de l’histoire des achats hospitaliers. La fonction achat va, en effet, de venir de plus en plus stratégique. Elle va devoir répondre à de nombreuses attentes qu’il s’agisse de performance qualitative, économique ou environnementale et sociale. Elle sera de plus en plus perçue comme un levier qu’il est possible d’actionner de manière rapide et efficace dans la mise en œuvre des politiques publiques, qu’il s’agisse de sécurisation des approvisionnements jugés comme essentiels, de soutien à l’innovation ou à la relocalisation de l’offre industrielle.

Obligée d’intégrer toujours plus de contraintes et devenant plus complexe à gérer, elle va générer un renforcement de la mutualisation des moyens et des expertises et de la mise en réseau des directions achat. Les centrales d’achat hospitalières, dont l’activité, les moyens et l’expertise se renforcent de manière continue, auront un rôle de plus en plus important à jouer dans ce grand mouvement de transformation qui s’annonce. »

achat-logistique.info : Que manque-t-il à la fonction achat hospitalière pour s’affirmer définitivement et devenir l’égale des autres fonctions soutien comme la direction des finances, la DRH ou la DSI ?

Dominique Legouge : « Elle doit acquérir l’expertise et se doter de l’outillage qui lui permettra de démontrer sa capacité à créer de la valeur dans son rôle transversal de gestion de l’interface entre les besoins de l’hôpital et de ses métiers et l’offre industrielle.

Le Resah veillera, pour ce qui le concerne, à fournir à ses adhérents un appui à travers son centre de ressources et d’expertise. Celui-ci mettra, notamment, en place dès l’année prochaine des « managers de solution » spécialisés par thématiques (RSE, optimisation de l’achat des produits de santé, gestion des flux et des stocks, etc.) qui pourront intervenir gratuitement à la demande des établissements. »

achat-logistique.info : Les récentes journées de l’achat hospitalier ont cherché à dessiner la fonction achats d’ici 2030. De votre point de vue, à quelles grandes tendances doit-on s’attendre ?

Dominique Legouge : « Comme je l’ai évoqué précédemment je pense que les principaux axes d’évolution seront les suivants : caractère de plus en plus stratégique de la fonction achat, plus grande complexité de gestion et besoin croissant de mutualisation et de mise en réseau. Le poids économique des achats dans le budget hospitalier devrait croître sous l’effet d’une externalisation croissante de certaines fonctions, de la digitalisation et du développement de l’intelligence artificielle, de la robotisation et de l’innovation. D’ici 10 ans, la part des achats hospitaliers pourrait atteindre 40 à 50 % dans le budget d’un hôpital contre 25 à 30 % aujourd’hui. »

achat-logistique.info : Le consortium Re-Uni a désormais plus de 18 mois d’existence (lire notre article du 22 avril 2020). Quel bilan tirez-vous de cette alliance avec UniHA ? Quelle est la valeur ajoutée du rapprochement entre les deux grandes centrales du secteur de la santé ?

Dominique Legouge : « Nous avons créé avec UniHA le consortium Re-Uni dans l’objectif de sécuriser l’approvisionnement de nos adhérents en matière d’équipements de protection individuelle (gants, masques, surblouses, etc) ou en tests antigéniques. Nos premières campagnes d’achat communes, dans un contexte de crise sanitaire et de perturbation des circuits d’approvisionnement habituels, ont été des réussites.

Nous travaillons actuellement à la sécurisation de ces approvisionnements pour les 4 prochaines années. C’est déjà fait pour les gants avec la création, notamment, dès la fin de l’année prochaine d’une usine de production de gants nitrile relocalisée en France et de stocks mutualisés pour les autres catégories de gants. C’est en cours pour les masques, les résultats de l’appel d’offres qui a été lancé par Re-Uni devant être connus dès le début de l’année prochaine.

Par ailleurs, toujours dans le cadre de Re-Uni, le Resah devrait contribuer à une étude du ministère de la Santé, dans le cadre de la sécurisation des approvisionnements des établissements, sur l’intérêt de l’achat de blouses textiles réutilisables, en intégrant le cycle de vie et l’impact environnemental. »

achat-logistique.info : Cette union a-t-elle un avenir post-Covid ?

Dominique Legouge : « Je l’espère car il y a des sujets où la coopération Resah-UniHA peut être aussi créatrice de valeur pour l’hôpital. Je pense, par exemple, à la standardisation des fiches produits qui est nécessaire à la digitalisation de la fonction achat-logistique, à la création de laboratoires ou de centres d’essai partagés. Je reste, par ailleurs, partisan de la compétition, dès lors qu’elle est stimulante et pousse chaque acteur national de l’achat hospitalier à être toujours plus créateur de valeur pour ses adhérents. »

achat-logistique.info : Le futur passe-t-il aussi par les groupements régionaux qui commencent à s’ancrer dans le paysage de l’achat hospitalier français. Comment peuvent-ils articuler leurs desseins aux côtés des opérateurs nationaux ?

Dominique Legouge : « En tant qu’opérateur régional des achats pour l’Ile-de-France, je ne peux qu’être favorable à la mutualisation de certains achats au niveau territorial. Je pense, en revanche, que le niveau de moyens et d’expertise qui est aujourd’hui nécessaire à la création de valeur par une mutualisation des achats ou de la logistique au niveau régional a considérablement augmenté par rapport à ce qui était nécessaire il y a 10 ans.

C’est pourquoi beaucoup de GCS régionaux courent le risque de ne pas atteindre la taille critique nécessaire pour garantir une performance et un niveau de qualité pérenne aux établissements qui feront le choix d’externaliser auprès d’eux leurs achats. En tant qu’acteur à la fois régional et national, le Resah leur propose donc par exemple de créer un centre de services partagé à l’échelle interrégionale. »

achat-logistique.info : Selon l’enquête EHESP Conseil sur le futur de la fonction achat hospitalière présentée à Montrouge (lire notre article du 2 décembre 2021), la moitié des professionnels interrogés estime que la RSE ne prendra qu’une place limitée au vu des nécessités de fonctionnement de l’hôpital. Partagez-vous leur point de vue ?

Dominique Legouge : « Pas du tout. L’achat responsable va prendre une place centrale dans la politique d’achat hospitalière et cela à très court terme. Les hôpitaux qui émettent indirectement plus de la moitié de leurs gaz à effet de serre à travers leurs achats de fournitures, services et travaux doivent se montrer exemplaire en termes d’impact environnemental et social, cela notamment, dans une optique de prévention de la santé des populations auxquels ils s’adressent. C’est pourquoi le Resah va faire de l’achat responsable un axe fondamental du développement de son activité dans le secteur sanitaire et médico-social. »

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