Clauses sociales : une vraie plus-value pour les achats

La clause d’insertion professionnelle permet à certains publics de reprendre le pied à l’étrier grâce à des heures de travail réservées, le plus souvent sous forme de condition d’exécution d’un marché. En 2020, 48 000 personnes ont bénéficié du dispositif. De quoi apporter une véritable plus-value à son achat. Mais à condition de respecter certaines étapes.

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Alors que le Plan national d’action pour l’achat public durable (PNAD) porte à 30 % la part minima de marchés annuels devant contenir au moins une considération sociale à l’horizon 2025, tout marché exempt d’une telle clause et dont le montant excède les seuils européens devra en justifier les raisons à compter de 2026 (article L. 2112-2-1 du Code de la commande publique). De quoi stimuler la mobilisation des acheteurs publics : 12 % du volume de la commande publique seulement étaient « clausés » en 2020.

Au bénéfice de qui ?

Doriane Bonas

La clause vise toute personne rencontrant des difficultés dans son accès ou retour à l’emploi, demandeurs d’emploi sans qualification et bénéficiaires de minima sociaux bien sûr, mais aussi jeunes diplômés ou travailleurs handicapés. « Au donneur d’ordre de s’interroger donc sur le public qu’il souhaite prioritairement cibler », indique Doriane Bonas, responsable des marchés publics au CH de Béziers. Le groupement de collectivités territoriales Alliance Ville Emploi comptabilisait 48 000 bénéficiaires en 2020, dont près de 15 000 demandeurs d’emploi de longue durée.

Au-delà des « grands classiques » – travaux, gardiennage, espaces verts ou restauration collective – les activités de services intègrent progressivement le périmètre (secrétariat, communication, reprographie, maintenance…), tout comme les prestations intellectuelles : concours d’architectes, bureaux d’études…La région Grand Est a utilisé le dispositif pour des prestations intellectuelles et des marchés numériques (lire notre article du 12 avril 2021).

Or, « cet élargissement offre un formidable potentiel aux établissements de santé, lesquels ne s’engagent pas tous les jours dans du bâtimentaire », souligne la chargée de mission à la Maison de l’Emploi du Grand Nancy, Isabelle Fikuart, Grâce au recrutement récent d’une chargée de mission DD à la direction de la logistique (lire notre article du 13 juin 2022), le CH de Béziers « compte d’ailleurs bien élargir ainsi le scope de ses actions et y imprimer une cohérence qui dépasse le seul affichage légal », appuie Doriane Bonas.

Critère ou condition d’exécution

Plusieurs possibilités s’offrent aux acheteurs publics. La plus fréquente consiste à faire de l’insertion sociale une condition d’exécution du marché. Dans ce cas, une part des heures de travail générées par ce dernier est réservée à la réalisation d’une action d’insertion, dans un cadre formalisé au cahier des charges. En 2020, les clauses d’insertion ont concerné 20 millions d’heures de travail, dont 90 % dans le secteur public. Mais l’ambition peut aussi s’exprimer dans le critère de choix de l’entreprise, ou encore faire l’objet de marchés réservés (travailleurs handicapés, ESS…).

Les nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) publiés depuis 2021 prévoient désormais une clause d’insertion sociale. Mais aussi pratique soit-il, l’article souffre des inconvénients du « prêt-à-porter » et mieux vaut y déroger au profit d’une clause tissée aux réalités de son marché et de son territoire. Le dimensionnement admet deux approches. « La plus courante revient à calculer les heures d’insertion en fonction du taux de main-d’œuvre réalisé sur le marché », évoque Isabelle Fikuart.

Marlène Tirabi

« Pour ce faire sont utilisés les index de l’INSEE pour la construction mais parfois, les référentiels n’existent pas. Il faut alors déterminer la part de main d’œuvre dudit marché, d’où la nécessité d’une fine connaissance des métiers. Il est également essentiel de mettre en perspective les délais d’exécution pour affiner les volumes », souligne Marlène Tirabi, facilitatrice de clause d’insertion au PLIE Béziers Méditerranée.

Les écueils à éviter

« Ils sont principalement de deux ordres », prévient Doriane Bonas. « En premier lieu, se lancer sans avoir préalablement identifié l’offre d’insertion disponible sur son territoire. Le risque est alors celui d’un montage totalement inopérant et/ou portant gravement atteinte à la concurrence ». « Secundo, poursuit la juriste biterroise, la démarche ne doit pas s’arrêter à quelques lignes bien rédigées dans le marché ; un véritable suivi s’impose pour garantir la cohérence de la dynamique. »

Ainsi, la question de l’opportunité d’une clause sociale et de ses conditions (insertion, formation, tutorat…) doit-elle toujours s’étudier dès l’avant-projet, en tenant compte tout à la fois du secteur d’activité, du public localement mobilisable et des possibilités des entreprises à mettre en œuvre le dispositif avec l’appui des structures d’insertion. »

Un facilitateur, sinon rien…

Franck Perrin

Conséquence : « Un établissement seul se trompera », assène le responsable des achats médicaux du GHT Sud Lorraine au CHRU de Nancy, Franck Perrin. Le GHT a d’ailleurs a signé, au printemps dernier, une convention avec Maison de l’emploi du Grand Nancy afin d’élargir la possibilité d’insérer des clauses sociales à l’ensemble de ses marchés (lire notre article du 30 mars 2022).

Il ne s’agit pas seulement d’identifier les marchés susceptibles d’intégrer une clause sociale puis de la calibrer de manière réaliste et réalisable sur un territoire donné afin que chacun puisse en tirer bénéfices. « Il faut aussi pouvoir assurer la démarche, notamment par la sélection d’un public à l’éligibilité vérifiée et le contrôle de la bonne réalisation des heures », détaille-t-il.

Par sa connaissance du tissu économique, le facilitateur s’impose donc, garant qui va donc tout à la fois conseiller l’acheteur, assister le titulaire du marché et juridiquement certifier la dynamique. « Son contact doit apparaître dès la consultation afin de pouvoir répondre aux entreprises et les rassurer avant qu’elles candidatent », précise même l’acheteur nancéen.

Service en général gratuit

Si le PNAD 2022-2025 prévoit le développement de facilitateurs sociaux, encore inégalement répartis sur le territoire, avec une centaine d’ETP supplémentaires, près de 500 professionnels étaient recensés sur le territoire en 2020, un tiers issu des collectivités territoriales, plus d’un quart des PLIE et un 5ème des Maisons de l’Emploi. Tous sont réunis au sein d’un réseau national, Alliance Ville Emploi, apte à conseiller et/orienter vers le facilitateur plus proche. Localement peuvent aussi exister d’autres initiatives, comme la mission interinstitutionnelle Clause Sociale 34 à Montpellier. Certains de ces acteurs sont payants (généralement 1 euro par heure d’insertion), mais la majorité propose leur service à titre gracieux.

Isabelle Fikuart

Plus que jamais, aujourd’hui, l’achat socialement responsable représente un formidable contributeur du développement local en rapprochant les publics en difficulté d’entreprises en peine de ressources. Les chiffres sont éloquents : « 75 % de sorties positives sur le territoire du Grand Nancy à deux ans d’éligibilité », confirme Isabelle Fikuart. Au-delà des obligations à respecter, ce levier économique et social apporte donc indubitablement une vraie valeur aux achats.

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